DUBOIS-TOUPET, UN DOMESTIQUE.
DUBOIS-TOUPET,
finissant de prendre son café.
Comme c’est amusant de déjeuner
tout seul quand on a près de soi deux enfants... Depuis un mois
ils habitent ici dans mon hôtel. Le premier jour nous avons déjeuné
tous les trois en famille... Ils ont failli se jeter les assiettes à
la tête... Au repas suivant ils se les ont jetées réellement.
Alors nous avons décidé que dorénavant chacun déjeunerait
et dînerait dans sa chambre. Ça n’est pas gai, mais c’est
plus sûr. (il a sonné. Entre un domestique, il montre le
café et le guéridon)
Emportez ça...
LE DOMESTIQUE
Oui, monsieur le comte.
Il sort
DUBOIS-TOUPET
Ces pauvres enfants, ce n’est pas leur
faute... Ils avaient pris l’habitude de s’aimer comme deux amoureux et
tout d’un coup l’on vient leur dire : C’est pas tout ça, il faut
maintenant vous aimer comme frère et sœur... Ça les agace,
je le comprends, mais je ne les en trouve pas moins insupportables, je
n’ai plus qu’une idée qui est de me débarrasser d’eux le
plus vite possible... J’ai trouvé un moyen... (il sonne)
et je vais leur en parler pas plus tard que tout de suite. (entre le
domestique) Mademoiselle n’est pas encore revenue du Bois ?
LE DOMESTIQUE
Non, Monsieur.
DUBOIS-TOUPET
Et Mr. le vicomte ?
LE DOMESTIQUE.
Non plus. Mr. le vicomte et mademoiselle
sont partis, il y a une heure
DUBOIS-TOUPET
Ils sont partis ensemble ?
LE DOMESTIQUE
Oh ! non, Monsieur... Mr. le vicomte et
Mademoiselle se sont rencontrés en bas dans la cour de l’hôtel
et ils se sont regardés comme ça... Psch !... après
quoi ils sont montés à cheval et ils sont sortis séparément,
Mademoiselle est sortie la première... Mr. le vicomte éprouve
toujours une certaine difficulté à se mettre en selle
DUBOIS-TOUPET
Et une fois qu’il y est ?..
LE DOMESTIQUE
Il éprouve une certaine difficulté
à y rester
Il sort.
DUBOIS-TOUPET,
riant.
Je ne devrais pas rire puisque c’est mon
fils... mais je ne peux pas m’empêcher... il a une si drôle
de façon de se tenir à cheval, Mr. Médard. (imitant
Médard).Et allez donc... et allez donc... il a l’air d’une bouteille
qu’on rince... et allez donc !
Entre la Roussotte,
costume d’amazone
SCÈNE II
DUDOIS-TOUPET, LA ROUSSOTTE, puis MÉDARD
LA ROUSSOTTE
Bonjour, papa, mon frère n’est pas
là ?
DUBOIS-TOUPET
Non
LA ROUSSOTTE
Je peux entrer, alors ?
Elle descend en scène.
DUBOIS-TOUPET,
se lève.
A la bonne heure, elle... elle a tout de
suite pris la tournure... tandis que lui... Ça t’amuse de monter a
cheval ?
LA ROUSSOTTE
Oh ! si ça m’amuse !..
COUPLETS
I
Maint’nant, j’ai pris le bel usage,
A ch’val maint’nant je sais m’asseoir,
Tandis qu’autrefois au village,
Quand j’ m’nais les ch’vaux à l’abreuvoir,
J’ montais lestement sur ma bête
D’un’ toute autr’ façon,
A la bonn’ franquette,
A califourchon !...
II
A ch’val malnt’nant, c’est autre chose,
Quand j’ galope au bois, en public,
Je m’ guind’, je m’ gêne et je pose,
J’suis à la mode et j’ fais du
chic.
Cependant quelquefois j’ regrette
Mon ancienn’ façon,
A la bonn’ franquette,
A califourchon !...
DUBOIS-TOUPET
Elle n’a pas encore tout à fait
pris le ton... mais ça viendra... Tu as aperçu ton frère
au bois ?
LA ROUSSOTTE
Oui,
DUBOIS-TOUPET
Il n’est pas tombé ?...
LA ROUSSOTTE
Oh! non... Il avait pris un bon moyen pour
ça. Il était à pied et il se promenait en tenant son
cheval par la bride.
DUBOIS-TOUPET,
sonnant.
Ah ! diable, s’il revient comme ça,
nous serons peut- être obligés d’attendre. (entre le domestique)
Dès que Mr. le vicomte rentrera, vous lui direz de venir ici, que
je l’attends.
LE DOMESTIQUE
Mr. le vicomte ne tardera pas à
rentrer. Un commissionnaire vient de ramener le cheval de Mr. le vicomte
et il nous a annoncé que Mr. le vicomte suivait dans un petit fiacre.
DUBOIS-TOUPET
Dans un petit fiacre !...
LE DOMESTIQUE
Oui, Monsieur.
LA ROUSSOTTE
Il aura voulu remonter sur son cheval...
et alors...
DUBOIS-TOUPET
Je m’en accuse, mais je ne me sens rien
du tout pour ce fils-là, rien du tout, rien du tout,
LE DOMESTIQUE
Voici Mr. le vicomte.
SCÈNE III
Les mêmes, MÉDARD
MÉDARD,
il ouvre la porte.
Ah! pardon !
Il s’en va.
DUBOIS-TOUPET
Qu’est-ce que c’est ?.., (au domestique)
Courez après lui, dites-lui que je veux absolument... (le domestique
sort, la Roussotte s’en va, Dubois-Toupet court après elle)
Eh bien ! eh bien !... où vas-tu ?...
LA ROUSSOTTE
Vous avez à parler à mon
frère, je m’en vais.
DUBOIS-TOUPET
C’est à tous deux que j’ai à
parler... et je t’ordonne de rester là...
Entre Médard.
MÉDARD
On me dit que vous tenez à me parler,
Monsieur ?
DUBOIS-TOUPET
Oui, Monsieur.
MÉDARD
C’est très bien, Monsieur, je reviendrai
quand Mademoiselle ne sera plus là.
LA ROUSSOTTE
Je ne demande qu’à m’en aller, moi.
Ils font chacun
un mouvement pour sortir.
DUBOIS-TOUPET
En voilà assez, à la fin.
Si vous ne restez pas là, je vous flanque des calottes... je suis
votre père.
LA ROUSSOTTE
C’est bien papa, c’est bien.
MÉDARD
Du moment que vous le prenez sur ce ton-là,
Monsieur...
DUBOIS-TOUPET
Asseyez-vous... asseyez-vous aussi loin
l’un de l’autre qu’il vous plaira, mais asseyez-vous et écoutez-moi.
(Médard et la Roussotte s’assoient
en effet loin l’un de l’autre et ils se lancent dés regards furieux)
La famille, les joies de l’intérieur... C’est pour arriver à
ça que je suis allé en Chine gagner une fortune... Enfin
!... (à mes enfants) Il doit vous sembler comme à
moi qu’il est tout à fait impossible que vous continuiez à
vivre l’un près de l’autre...
LA ROUSSOTTE
Tout à fait impossible, papa.
MÉDARD
Absolument impossible, Monsieur.
DUBOIS-TOUPET
Pour vous séparer définitivement,
j’ai résolu de vous marier.
LA ROUSSOTTE
Comment ! de nous marier ?
DUBOIS-TOUPET
De vous marier chacun de votre côté,
bien entendu... Je suis allé trouver une vieille amie à
moi, la marquise de la Haute-Venue, je lui ai dit : Marquise, vous n’auriez
pas dans vos connaissances, un bon jeune homme qui pourrait épouser
une jeune fille à laquelle je m’intéresse... et une jolie
personne qui pourrait épouser un bon jeune homme ?... Certainement,
m’a répondu la marquise, j’ai une jeune fille pour votre jeune homme,
et j’ai un homme pour votre jeune fille... La voilà, mon idée,
qu’est-ce que vous en dites ?...
LA ROUSSOTTE
Je dis qu’elle est excellente... Quand
me mariez-vous ? Je veux me marier tout de suite, quant à moi.
MÉDARD
Moi aussi, moi aussi...
DUBOIS-TOUPET,
à la Roussotte.
Ton jeune homme viendra ici tout à
l’heure sous prétexte de voir le dernier chef-d’œuvre que j’ai acheté
hier à l’hôtel des ventes... Pendant qu’il examinera le tableau,
tu l’examineras, lui, et s’il te convient...
LA ROUSSOTTE
Il me conviendra, papa.
DUBOIS-TOUPET
Quant à vous, Monsieur, il viendra
tout à l’heure une jeune personne avec sa mère. Elle viendra
sous le prétexte d’offrir des billets pour le prochain bal de bienfaisance
donné au profit des bienfaiteurs sans fortune.
MÉDARD
Il n’y a pas besoin de façons, je
l’accepte la jeune personne, je l’accepte quelle qu’elle soit.
DUBOIS-TOUPET
Oui... mais il faut savoir si elle vous
acceptera vous. Enfin, comme vous avez chacun un million... Ces personnes
que j’attends vont arriver tout à l’heure, je vais faire un peu
de toilette... Toi aussi, ma fille, tu devrais...
LA ROUSSOTTE
Oui, papa, j’y vais...
DUBOIS-TOUPET,
l’embrassant.
Ma fille... je t’aime bien, toi... mais
ton frère, je n’éprouve rien du tout pour ce garçon
là, rien du tout, rien du tout.
Il sort.
SCÈNE IV
MÉDARD, LA ROUSSOTTE
Ils sont aux deux extrémités
de la scène
Sur le point de sortir, ils s’arrêtent
et se retournent.
MÉDARD
Mademoiselle...
LA ROUSSOTTE
Monsieur…
MÉNARD
Une bien bonne idée que ce digne
monsieur a eue là de nous faire faire à chacun un mariage.
LA ROUSSOTTE
Oh! oui... comme ça au moins nous
ne nous verrons plus, nous ne nous rencontrerons plus...
MÉDARD
Ça vous était désagréable
?…
LA ROUSSOTTE
Oh !
MÉDARD
Et à moi donc... Jamais je ne pourrai
être un frère pour vous, (se rapprochant d’elle) Jamais,
jamais... j’ai essayé, je ne peux pas.
LA ROUSSOTTE
Moi aussi j’ai essayé d’être
une sœur,
MÉDARD
Et...
LA ROUSSOTTE
Je ne peux pas, je ne peux pas...
MÉDARD
Alors, n’est-ce pas, il vaut mieux...
LA ROUSSOTTE
Oui et tout de suite.
MÉDARD
Qu’est-ce que vous ferez, une fois mariée
?...
LA ROUSSOTTE
Je partirai, je demanderai à mon
mari de m’emmener loin de l’endroit où vous serez, loin, loin.
MÉDARD
Moi, je ne demanderai pas à ma femme...
je suis l’homme, moi, par conséquent je suis le maître...
je ne demanderai pas à ma femme... je lui ordonnerai de me suivre
et je m’en irai avec elle.
LA ROUSSOTTE
Loin, n’est-ce pas, bien loin ?
MÉDARD
Loin, loin, loin… ce n’est pas que je vous
haïsse, au moins.
LA ROUSSOTTE
Ni moi...
MÉDARD
Au contraire... je vous souhaite, en vous
quittant, je vous souhaite tout le bonheur possible avec votre... avec
votre mari.
LA ROUSSOTTE
C’est comme moi... je vous souhaite d’être
aussi heureux qu’on peut l’être avec... avec votre femme.
MÉDARD
Je vous remercie... Seulement, si vous
êtes heureuse comme je l’espère, j’aurai quelque chose à
vous demander.
LA ROUSSOTTE
Quoi donc ? ...
MÉDARD
Ce sera de ne pas m’en faire part...
LA ROUSSOTTE
Comme c’est drôle... j’allais justement
vous dire la même chose... nous ne nous écrirons pas... nous
ne nous donnerons pas de nos nouvelles.
MÉDARD
Jamais, jamais… Une fois séparés
nous n’existerons plus l’un pour l’autre. C’est bien convenu ?...
LA ROUSSOTTE
Oui, c’est bien convenu.
MÉDARD,
très ému
La Roussotte...
LA ROUSSOTTE,
très émue.
Monsieur Médard….
MÉDARD
Adieu, la Roussotte.
LA ROUSSOTTE
Adieu, monsieur Médard, je vais
m’habiller... celui qui doit m’épouser va venir...
MÉDARD
Oui, c’est cela... Allez vous habiller,
mariez-vous. Et puis, adieu,
LA ROUSSOTTE
Adieu !…
SCÈNE V
MÉDARD,
seul.
Jamais pareille chose n’est arrivée,
je crois... jamais... jamais !... Si pourtant, il parait que c’est arrivé
à un nommé Réné ! un autre, nommé Chateaubriand,
a fait un livre là-dessus. Le nommé René s’est tiré
d’affaires en se sauvant en Amérique. Je pourrais faire comme lui...
aller là-bas... chez les sauvages !
Entre Dubois-Toupet.
MÉDARD, DUBOIS-TOUPET.
DUBOIS-TOUPET,
du fond.
Vous êtes seul, Monsieur ?...
MÉDARD
Oui, Monsieur...
DUBOIS-TOUPET
Peut-être avez-vous remarqué
que je disais Monsieur, je sais bien que je devrais dire mon fils.
MÉDARD
Tout comme moi, je devrais dire mon père.
DUBOIS-TOUPET
Vous me pardonnerez d’éprouver quelque
difficulté à prononcer... ce n’est pas étonnant.
MÉDARD
Quand on n’a pas l’habitude...
DUBOIS-TOUPET
Je sais bien qu’il y a la voix du sang.
MÉDARD
Ah ! oui, il y a la voix...
DUBOIS-TOUPET
Elle parlera certainement un jour ou l’autre...
la voix du sang...
MÉDARD
Je l’espère, je veux l’espérer.
DUBOIS-TOUPET
Moi aussi... mais en attendant qu’elle
ait parlé, ne trouvez-vous pas qu’il est inutile de feindre des
sentiments ?...
MÉDARD
Tout à fait inutile.
DUBOIS-TOUPET
Aussi voilà pourquoi j’ai toujours
évité de vous serrer dans mes bras, il m’a semblé
qu’une poignée de main...
MÉDARD
Une bonne poignée de main, ça
suffit... ça suffit parfaitement.
DUBOIS-TOUPET,
lui donnant une poignée de main.
Monsieur...
MÉDARD
Monsieur...
DUBOIS-TOUPET
Vous êtes allé hier au cercle,
comme je vous l’avais dit ?...
MÉDARD
Oui, Monsieur…
DUBOIS-TOUPET
Vous avez joué ?
MÉDARD
Oui, Monsieur, il y a même eu, à
cause de moi, une espèce de querelle.
DUBOIS-TOUPET
Comment cela ?
MÉDARD
Je m’étais assis à la table
de baccarat. Le monsieur qui était en face de moi me demande si
je yeux une carte... il me le demande poliment, alors, moi, pour ne pas
être en reste de politesse, je réponds... « Oui,
Monsieur, avec plaisir » il me donne un deux : ça me faisait
dix.
DUBOIS-TOUPET
Vous avez tiré à huit !…
MÉDARD
Là-dessus tous ces messieurs qui
étaient autour de moi se sont mis à me dire des choses désagréables.
DUBOIS-TOUPET,
à part.
Qu’est-ce que c’est que ce garçon-là
?... Il se promène au bois en tenant son cheval en laisse et il
tire à huit au baccarat... Et c’est mon fils.
MÉDARD
Ce n’est pas si mauvais après tout,
de tirer à huit... ça ne m’a pas empêché de
gagner, (il prend des jetons de sa poche) C’est de l’argent tous
ces jetons-là... Cinq cents francs... Deux cents francs.
LE VALET DE PIED
entrant.
Monsieur le baron de Montflambert
DUBOIS-TOUPET
C’est le jeune homme. (au domestique)
Faites entrer.
Le domestique sort.
MÉDARD
Dois-je sortir, Monsieur, ou dois-je rester
pour assister à l’entrevue ?...
DUBOIS-TOUPET
Comme il vous plaira.
MÉDARD
Je reste alors.
Entre Montflambert.
SCÈNE VII
Les mêmes, MONTFLAMBERT
MONTFLAMBERT,
à Dubois-Toupet.
Monsieur !...
DUBOIS-TOUPET
Monsieur.., (au domestique) Faites
dire à Mademoiselle que dès qu’elle pourra descendre... (le
domestique sort) Mon fils, Monsieur, le vicomte Dubois-Toupet,
mon fils.
MONTFLAMBERT
saluant.
Monsieur...
MÉDARD
saluant
Monsieur Montflambert.
MONTFLAMBERT
J’ai appris. Monsieur, que vous aviez acheté
un Vélasquez superbe.
DUBOIS-TOUPET
Vous êtes venu pour le voir ?...
MONTFLAMBERT
Oui, Monsieur.
DUBOIS-TOUPET
Je suis vraiment désolé,
je viens justement de le renvoyer chez l’expert pour faire restaurer la
signature.
Mais ça ne fait rien... ne vous
en allez pas... Restez tout de même.
MONTFLAMBERT
Je resterai, Monsieur, je resterai tant
que vous voudrez….
DUBOIS-TOUPET
Je vous remercie, Monsieur. (entre la
Roussotte) Voici ma fille.
SCÈNE VII
Les mêmes, LA ROUSSOTTE.
MONTFLAMBERT
Mademoiselle !...
LA ROUSSOTTE
Bonjour, Monsieur, bonjour.
DUBOIS-TOUPET
Ma fille, voici Mr. le baron de Montflambert
qui a entendu parler de mon Vélasquez.
LA ROUSSOTTE
Il n’y a pas besoin de tant de simagrées...
C’est Monsieur, n’est-ce pas ? qui vient pour m’épouser...
MONTFLAMBERT
Mademoiselle...
LA ROUSSOTTE
Eh bien ! qu’il m’épouse et n’en
parlons plus.
MONTFLAMBERT
Mademoiselle... je ne m’attendais pas...
mais ça ne fait rien, j’accepte avec ravissement.
DUBOIS-TOUPET
Ça vous va ?
MONTFLAMBERT
Oh ! Oui.
DUBOIS-TOUPET
Ça te va?
LA ROUSSOTTE
Puisque je vous le dis...
DUBOIS-TOUPET
C’est une affaire entendue, alors : Baron,
vous êtes mon gendre...
MÉDARD
Un instant donc, un instant !...
DUBOIS-TOUPET
Comment !...
MÉDARD
On n’a pas idée de bâcler
un mariage comme ça... dans notre monde !
DUBOIS-TOUPET
Qu’est-ce qui lui prend ?. . .
MÉDARD
Vous dites que vous la mariez avec Monsieur...
C’est bientôt dit ça... Qu’est-ce que c’est que Monsieur,
d’où vient-il ? Qui est-ce qui le connaît ? Je ne le connais
pas, moi.
MONTFLAMBERT
Monsieur !
MÉDARD
Eh bien ! Monsieur ?
MONTFLAMBERT
Rien, monsieur... je ne veux pas, en présence
de Mademoiselle...
DUBOIS-TOUPET
C’est une vieille amie à moi, la
marquise de Haute-Venue, qui m’a parlé de Monsieur... et la marquise
est incapable...
MÉDARD
Un drôle de métier qu’elle
fait là, votre marquise de Haute-Venue... C’est une marieuse alors...
c’est une marieuse... qu’est-ce qu’on lui donne pour ça ?...
DUBOIS-TOUPET,
à part.
Il m’ennuie, mon fils,
LA ROUSSOTTE
à Montflambert.
Ne faites pas attention... nous nous marierons
tout de même.
MONTFLAMBERT
Je ne fais pas attention, mais cependant...
MÉDARD
Cependant quoi, Monsieur, cependant quoi
?
MONTFLAMBERT
Rien, Monsieur... la présence de
Mademoiselle..
MÉDARD
Elle fait bien mal son métier, en
tous cas, votre marieuse... Je vous demande un peu s’il est permis d’envoyer
des modèles dans ce goût-là... regardez-moi... (pressant
Montflambert et le bousculant) Ça n’a pas de Santé,
ça ne tient pas.
MONTFLAMBERT
manquant de tomber.
Ah ! mais...
DUBOIS-TOUPET,
à Montflambert.
Ne faites pas attention... la marquise
a dû vous dire...
MONTFLAMBERT
se frottant.
C’est donc ça... (La Roussotte
le frotte aussi) Je vous remercie. Mademoiselle.
DUBOIS-TOUPET,
à Médard.
Vous savez que vous m’ennuyez, vous.
MÉDARD
Monsieur, je vous respecte... je ne me
sens absolument rien pour vous, mais je vous respecte... Mais voyons, là,
vous ne pouvez pas la donner... elle... une femme admirable, à un
pareil... (à Montflambert) Allons, c’est bien, vous êtes
venu ici pour qu’on vous examine. On vous a examiné, allez-vous
en, vous ne faites pas l’affaire…
MONTFLAMBERT
Qu’est-ce qu’il a dit ?
LA ROUSSOTTE
Il a dit de vous en aller.
MÉDARD
Et ne vous le faites pas dire deux fois
ou bien...
MONTFLAMBERT
digne.
Je m’en vais, Monsieur...
MÉDARD
A la bonne heure !
MONTFLAMBERT
Je m’en vais, mais je n’ai pas besoin de
vous dire que nous nous reverrons.
MÉDARD
Je n’y tiens pas, mais ça m’est
égal.
MONTFLAMBERT
Monsieur, Mademoiselle...
MÉDARD,
poussant
Montflambert dehors.
En voilà assez... allez au diable...
et plus vite que ça... (revenant après que Montflambert
est sorti) Ah ! mais…
DUBOIS-TOUPET
accompagnant Montflambert.
Mes excuses à la marquise...
SCÈNE IX
DUBOIS-TOUPET, MÉDARD, LA ROUSSOTTE.
LA ROUSSOTTE
Et vous disiez tout à l’heure que
vous ne demandiez qu’à me voir mariée...
MÉDARD
Je le dis toujours... je ne demande qu’à
vous voir mariée, mais pas avec celui-là...
BUBOIS-TOUPET
rentrant furieux et
relevant ses manches.
Attends, toi, attends.
LA ROUSSOTTE,
se jetant au-devant de Dubois-Toupet.
Papa, je t’en prie... Il a raison, après
tout... il ne me convenait pas du tout, ce mari-là...
MÉDARD
Vous entendez...
LA ROUSSOTTE
Et puis, là, voyons... qu’est-ce
que nous désirons tous les deux ?... Être séparés
l’un de l’autre ?... Et bien pour être séparés, il
n’est pas nécessaire que nous nous marions tous deux, il suffît
qu’il se marie, lui...
DUBOIS-TOUPET,
abaissant ses manches.
Tiens, c’est juste…
LA ROUSSOTTE
Qu’il se marie, qu’il s’en aille, loin,
loin, loin... et, rien ne me forcera, moi... je pourrai très bien,
moi, continuer à vivre près de vous.
BUBOIS-TOUPET
C’est très juste et j’aime mieux
ça,
MÉDARD
Moi aussi...
Entre le valet de pied.
LE VALET
Madame et mademoiselle de Saint-Excédant...
LA ROUSSOTTE
Faites entrer.
Le domestique sort.
DUBOIS-TOUPET
Tu ne vas pas faire comme ton frère,
au moins, tu ne vas pas, quand la demoiselle entrera...
LA ROUSSOTTE
très distinguée.
Par exemple... je suis femme, et les femmes
savent tout de suite prendre le ton et les allures... Ce n’est pas comme
lui... jamais il ne saura, lui, mais moi, tu vas voir, papa, comme je saurai
bien être femme du monde...;
DUBOIS-TOUPET
Tu me le promets ?...
LA ROUSSOTTE
Tu vas voir, papa, tu vas voir.
Entrent madame et
mademoiselle de Saint-Excédant.
SCÈNE X
Les mêmes, MADAME DE SAINT-EXCÉDANT,
CÉCILE.
LA ROUSSOTTE,
s’élancent au devant de madame
de
Saint-Excédant, très
prétentieuse.
Cette bonne madame de Saint-Excédant,
que vous êtes bonne d’être venue et de nous avoir amené
votre adorable demoiselle, car je présume...
MADAME DE SAINT-EXCÉDANT
En effet, c’est ma Cécile...
LA R0USS0TTE
Elle est ravissante ! Asseyez-vous donc,
Madame, je vous en prie…
MÉDARD,
à Cécile
Vous aussi, Mademoiselle... asseyez-vous
!
LA ROUSSOTTE
Assieds-toi, papa...
Elle descend une chaise
pour elle.
Médard s’assied à quelques
distance
des autres personnages.
La Roussotte assise près de
son père.
LA ROUSSOTTE,
bas.
C’est bien, n’est-ce pas ?...
DUBOIS-TOUPET,
bas.
Très bien, très bien...
MADAME DE SAINT-EXCÉDANT
C’est votre fille ?
DUBOIS-TOUPET
Oui, Madame...
MADAME DE SAINT-EXCÉDANT
Elle est d’une distinction...
LA ROUSSOTTE
Cette excellente madame de Saint-Excédant...
Vous ne craignez pas les courants d’air ?...
MADAME DE SAINT-EXCÉDANT,
effrayée.
Si fait...
LA ROUSSOTTE
Il n’y en a pas, n’ayez pas peur... C’était
seulement pour vous montrer combien je m’intéresse à votre
chère santé.
MADAME DE SAINT-EXCÉDANT
Oh ! Mademoiselle...
LA ROUSSOTTE,
bas, à Dubois-Toupet.
Je suis bien femme du monde.
MADAME DE SAINT-EXCÉDANT
Je viens, Monsieur, vous prier de me prendre
quelques billets… il doit y avoir prochainement un festival au Trocadéro...
(à Médard) Vous riez, Monsieur.
MÉDARD
Oui, je ris de vous voir comme ça
tourner autour du pot.
LA ROUSSOTTE
Oh !
MÉDARD
Il n’y a pas besoin de faire tant de façons...
Votre petite vient pour m’épouser, eh bien c’est dit... Je l’épouse...
CÉCILE
Oh ! Maman !….
MADAME DE SAINT-EXCÉDANT
Je vous assure, Monsieur, que ni Cécile
ni moi ne nous attendions... mais ça ne fait rien, nous acceptons.
DUBOIS-TOUPET
A quand le mariage, alors ?
MÉDARD
Tout de suite, tout de suite... Venez,
Mademoiselle, mademoiselle...
MADAME DE SAINT-EXCÉDANT
Ah ! non. Il faut au moins le temps de
publier les bans.
DUBOIS-TOUPET
Nous commencerons demain, et dans trois
semaines...
MADAME DE SAINT-EXCÉDANT
Ça te va-t-il, Cécile ?
CÉCILE
Oui, maman.
MADAME DE SAINT-EXCÉDANT
C’est convenu alors...
MÉDARD
Oui, c’est convenu.
MADAME DE SAINT-EXCÉDANT,
poussant Cécile
vers Dubois-Toupet.
Embrasse ton beau-père, alors…
LA ROUSSOTTE
Doucement, donc, doucement...
DUBOIS-TOUPET
Qu’est-ce qu’il y a ?.. .
LA ROUSSOTTE
Cette chère madame de Saint-Excédant...
il ne faudrait pas la tromper... il ne faudrait pas non plus tromper cette
demoiselle qui me parait être un ange...
CÉCILE
Oui, Mademoiselle...
LA ROUSSOTTE
Ces dames savent-elles qu’il y a dans le
passé de Monsieur... Oh ! rien de grave, assurément, mais
enfin savent-elles qu’il y a huit jours la profession de Monsieur consistait
à se promener dans Paris avec une pancarte sur laquelle était
écrit : « Elle n’était qu’évanouie, et lui,
qu’est-ce qu’il était ? »…
DUBOIS-TOUPET
voulant la faire taire.
Hum ! hum !
LA ROUSSOTTE
Savent-elles qu’avant d’être le jeune
et brillant gentilhomme qu’elles admirent en ce moment, Monsieur a été
obligé de faire un tas de métiers...
DUBOIS-TOUPET
Hum ! hum !
LA ROUSSOTTE
Savent-elles que Monsieur a écrit
des chansonnettes pour des cafés-concerts de quatrième ordre,
et qu’il est l’auteur de : Je suis la sœur de l’emballeur, etc.
DUBOIS-TOUPET
Ma fille
MADAME DE SAINT-EXCÉDANT
La marquise, en me parlant de ce mariage,
m’a bien touché deux mots... Il me semble que ce sont là
des bagatelles sur lesquelles il est inutile d’insister...&
MÉDARD
Tout à fait inutile...
DUBOIS-TOUPET
C’est mon avis, le mariage est convenu,
le mariage se fera.
LA ROUSSOTTE
Ah ! mais non, alors, ah ! mais non !
DUBOIS-TOUPET
Ma fille !...
LA ROUSSOTTE
Je n’en veux pas, moi, de ce mariage...
Du moment que cette excellente madame de Saint-Excédant trouve que
ce sont là des bagatelles, j’ai tout lieu de croire que c’est à
votre fortune que l’on en veut et que cette excellente madame n’est qu’une
aventurière.
MADAME DE SAINT-EXCÉDANT
Oh !…
LA ROUSSOTTE
Et quant à mademoiselle, qui fait
tant la sucrée, elle m’a bien l’air...
CÉCILE
Oh ! maman...
DUBOIS-TOUPET
Ma fille, toi qui avais promis d’être
femme du monde...
LA ROUSSOTTE
Femme du monde tant qu’on voudra... mais
j’ai été fille d’auberge aussi, et ces dames s’en apercevront
si elles ne se dépêchent pas de déguerpir...
DUBOIS-TOUPET
Allons, bon...
MÉDARD
Allons, bien...
LA ROUSSOTTE
Allons, ouste... là-bas, à
Péronne, quand les buveurs refusaient de s’en aller, c’est moi qui
étais chargée de les mettre à la porte...
MADAME DE SAINT-EXCÉDANT
Elle nous appelle ivrognes !...
DUBOIS-TOUPET
Elle est un peu nerveuse...
MADAME DE SAINT-EXCÉDANT
Viens, ma fille, allons-nous en.
CÉCILE
Tout de suite, maman, tout de suite.
LA ROUSSOTTE
Et ne revenez pas surtout. . . Votre demoiselle
ne nous va pas, voilà notre dernier mot, elle ne nous va pas, votre
demoiselle...
MADAME DE SAINT-EXCÉDANT
Viens, ma fille !
DUBOIS-TOUPET,
les accompagnant.
Mes excuses à la marquise !...
Sortent Cécile
et
madame de Saint-Excédant.
SCÈNE XI
DUBOIS-TOUPET, MÉDARD, LA ROUSSOTTE.
LA ROUSSOTTE
Certainement je veux qu’il se marie...
mais je ne veux pas qu’il épouse cette petite-là, je ne le
veux pas.
DUBOIS-TOUPET,
s’arrachant les cheveux.
Quelle famille, mon Dieu !... Quelle famille
!...
MÉDARD
Monsieur...
LA ROUSSOTTE
Papa...
DUBOIS-TOUPET
Quelle famille !... quelle famille !...
LA ROUSSOTTE
Voyons, papa, je conviens que cette fois-ci,
ça n’a pas très bien marché.
MÉDARD
Ça ira mieux la prochaine fois...
DUBOIS-TOUPET
La prochaine fois !. . .
LA ROUSSOTTE
Ça n’ira peut-être pas encore
tout à fait bien, la prochaine fois, mais enfin ça ira mieux
qu’aujourd’hui.
MÉDARD
La fois suivante, il y aura encore une
petite amélioration.
LA ROUSSOTTE
Et ainsi de suite... il faut espérer
qu’à la longue...
DUBOIS-TOUPET
Alors, vous vous imaginez que je vais faire
défiler tout ce qu’il y a d’hommes et de filles à marier.
MÉDARD
Je ne sais pas, moi... mais à votre
place, moi. Monsieur, je ne me découragerais pas.
LA ROUSSOTTE
Essaie encore, papa... et tu verras que
ça finira par aller.
Entre le domestique
LE DOMESTIQUE
Il y a là un monsieur qui désire
parler...
Il donne une carte.
LA ROUSSOTTE
Encore un prétendu...
DUBOIS-TOUPET
Non... je ne savais pas ce qui devait arriver,
moi... Je n’en avais commandé qu’un pour aujourd’hui. (lisant
la carte) Mr. Édouard.
MÉDARD
C’est un monsieur de mon cercle…
DUBOIS-TOUPET
Faites entrer.
Le domestique sort, Dubois-Toupet
regarde
Médard et la Roussotte qui se
sont remis à
se faire des mines furieuses comme
au
commencement de l’acte. Entre Édouard.
SCÈNE XII
Les mêmes, ÉDOUARD.
Édouard salue Dubois-Toupet
et Médard.
Il regarde la Roussette avec étonnement
LA ROUSSOTTE
Oui, c’est moi...
ÉDOUARD
Mademoiselle...
LA ROUSSOTTE
A la crémerie... la fille... Celle
à qui vous avez donné vingt-six francs soixante-quinze….
ÉDOUARD
Il me semblait, en effet... mais je ne
me serais pas permis...
LA ROUSSOTTE
Ils m’ont porté bonheur, vos vingt-six
francs... J’ai retrouvé un père et je suis riche, maintenant,
très riche… Voyez comme je suis bien mise.
ÉDOUARD
Oui, je vois... Et là, vrai, je
ne peux pas vous dire combien ça me fait plaisir, (à Médard)
J’ai eu l’honneur, monsieur, de jouer avec vous hier soir...
MÉDARD
En effet, Monsieur, je me rappelle...
ÉDOUARD
Parmi les jetons que je vous ai donnés
en paiement, il y en a un auquel je tiens beaucoup et que le cercle refuserait
de vous reprendre, attendu que c’est un jeton qui date d’autrefois.
MÉDARD,
lui présentant les jetons.
Voyez, Monsieur.
ÉDOUARD
C’est celui-là. Monsieur.
DUBOIS-TOUPET
Qu’est-ce que c’est que ça ? qui
est-ce qui vous a donné ce jeton-là ?...
ÉDOUARD
C’est mon oncle... il me l’a donné
quand j’étais tout petit...
DUBOIS-TOUPET
Chez le père Savarin ?…
ÉDOUARD
Oui.
DUBOIS-TOUPET
Regardez-moi bien... et tâchez de
vous rappeler...
ÉDOUARD
le reconnaissant.
Mon oncle !...
DUBOIS-TOUPET
Mon fils... tu es mon fils... il n’y a
pas à en douter. C’est bien toi qui es mon fils... (à
Médard) et non pas toi... tu entends, tu ne m’es rien, toi,
rien du tout...
MÉDARD
Vous en êtes bien sûr, pas
vrai ?
DUBOIS-TOUPET
Oui, j’en suis sûr, je le sens là…
MÉDARD
Oh ! que je suis content ! ...
LA ROUSSOTTE
Et moi donc !...
Ils s’embrassent arec
effusion.
DUBOIS-TOUPET,
à Édouard.
Mais comment as-tu trouvé le moyen
de perdre en jouant contre un gaillard pareil ?... un gaillard qui tire
à huit ?...
ÉDOUARD
Oh ! c’est que j’ai la manie de tirer à
cinq.
DUBOIS-TOUPET
Il tire à cinq !... c’est bien mon
fils.
MÉDARD,
à la Roussotte.
Comme je te détestais tout à
l’heure...
LA ROUSSOTTE
Mais comme nous allons nous aimer maintenant...
MÉDARD
O femme admirable !
LA ROUSSOTTE
O mon poète ! (montrant le public)
Dis donc, en ta qualité de poète.
COUPLETS FINAL
MÉDARD
En ma qualité de poète
Les auteurs m’ont chargé, messieurs,
D’étre auprès d’ vous leur
interprète
Et d’ vous prier d’êtr’ gracieux,
J’avoue que cela m’asticote
Et qur j’éprouv’ quelqu’ embarras
!
LA ROUSSOTTE
O mon poèt’, c’est la Roussotte
Qui va t’ tirer de c’ mauvais pas !
Messieurs, ayez de l’indulgence,
Tous ici, vous êt’s nos amis,
Et c’est avec plein’ confiance
Que j’ m’adresse à vous et vous
dis :
Pi . . . . ouit !
Ne soyez pas sourds à notr’ voix,
Rev’nez deux fois, dix fois, cent fois.
Pi . . . . ouit !
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