GIGONNET, ADÈLE
Gigonnet écrivant sans s’occuper
d’Adèle debout près de
lui.
ADÈLE
Voyons, Gigonnet, le petit Gigonnet de
mon cœur !
GIGONNET
Vous êtes encore là ?...
ADÈLE
Cent cinquante francs, ce n’est pas grand-chose,
pourquoi ne voulez-vous pas me les prêter ?
GIGONNET
Je ne peux pas. (appelant) Médard
!
ADÈLE
Gigonnet... mon petit Gigonnet...
GIGONNET
Serviteur, Mademoiselle !.. (appelant
plus fort) Eh bien, Médard, monsieur Médard ?
Entre Médard.
SCÈNE II
Les mêmes, MÉDARD.
MÉDARD
Voilà, patron !
ADÈLE, à Médard.
Vous avez une bonne figure, vous !... Comment
se fait-il qu’avec une figure comme ça, vous restiez dans la maison
d’un pareil coquin ?
MÉDARD
Je n’ai pas eu le choix, Mademoiselle,
je vous assure que si j’avais eu le choix...
ADÈLE
A la bonne heure !... comme ça,
je comprends... (à Gigonnet) Au revoir, Gigonnet.
Elle sort.
SCÈNE III
GIGONNET, MÉDARD.
GIGONNET
Qu’est-ce que vous avez dit tout à
l’heure ?... que si vous aviez eu le choix...
MÉDARD
Ça m’a échappé.
GIGONNET
Pourquoi n’avez-vous pas répondu
plus vite tout à l’heure ?... Vous dormiez, n’est-ce pas ?... ou
vous vous occupiez encore de compositions littéraires ?...
MÉDARD
Non, patron ! je compulsais des dossiers...
J’écrivais cette sommation que vous envoyez au sieur Tiquetonne,
de Montrouge, pour avoir à payer une somme qu’il a déjà
payée une fois, mais dont vous supposez qu’il n’a pas gardé
le reçu.
GIGONNET
Vous l’avez là, cette sommation
?
MÉDARD
La voici.
GIGONNET
Et l’affaire de Péronne ?... où
en est l’affaire de Péronne ?... C’est bien aujourd’hui que la jeune
fille doit arriver ?
MÉDARD
Oui, patron, l’aubergiste chez qui elle
était en service a dû lui-même la mettre en chemin de
fer. Elle arrivera à Paris dans une heure et tout de suite elle
viendra ici, je lui ai écrit que Mr. Gigonnet, ancien avoué,
avait à lui communiquer quelque chose.
GIGONNET
Anne-Marie, n’est-ce pas ?.. Cette jeune
fille, car c’est bien une jeune fille... Elle n’est pas mariée...
MÉDARD
Non ! elle n’est pas mariée.
GIGONNET
Cette jeune fille s’appelle bien Anne-Marie
?
MÉDARD
Oui, Patron ! Parait qu’on l’appelle aussi
la Roussotte, à cause de ses cheveux... Ça me rappelle, il
y a trois mois... j’y passais justement, à Péronne... j’y
faisais mes vingt-huit jours, et je crevais de soif, à cause de
l’étape qui avait été longue... une jeune fille qui
avait les cheveux de cette couleur-là, se mit à rire en me
regardant.
COUPLETS.
Le souvenir de cette jeune fille
Est toujours là, toujours charmant
et doux.
Je la revois avec son œil qui brille,
Je la revois avec ses cheveux roux.
En me voyant tout penaud à la porte,
Elle se mit à rire avec candeur,
Elle a conquis mon cœur en quelque sorte.
En quelque sorte elle a conquis mon cœur.
GIGONNET,
s’approchant de Médard.
Qu’est-ce qui lui prend ?
MÉDARD
Elle tenait à la main des cerises,
En souriant, elle me les jeta !
Oui, je sais bien, tout ça c’est
des bêtises,
Je n’oublierai jamais ces cerises-là.
Je n’oublierai jamais sa mine accorte.
Elle s’enfuit comme un rêve trompeur.
Elle emporta mon cœur en quelque sorte,
En quelque sorte elle emporta mon cœur.
GIGONNET,
de plus en plus stupéfait,
Vous devenez fou, monsieur Médard
?
MÉDARD
Non, patron, ce que je dis là est
la pure vérité, j’emportai des cerises, et elle... elle emporta...
GIGONNET
En voilà assez. Monsieur... je ne
vous donne pas quinze francs par mois pour que vous veniez me raconter
: « Elle emporta mon cœur. »
MÉDARD
En quelque sorte.
GIGONNET
C’est à se demander où j’avais
la tête le jour où je vous ai choisi pour faire de vous le
chef de mon contentieux.
MÉDARD
Le fait est qu’elle est assez drôle
la façon dont vous m’avez choisi. Il y a cinq jours j’arrive chez
vous. Je savais qu’une de vos spécialités était de
retrouver les parents de ceux qui n’en avaient pas. Cette situation se
trouvant tout justement être la mienne, je mets devant vous mes papiers
de famille, et je vous dis : Voilà, pouvez-vous avec ça,
vous charger de me retrouver un père ?… Vous ne regardez pas mes
papiers, vous me regardez, et vous me dites : « Mon chef du contentieux
vient de me quitter pour entrer à la banque de France, ça
vous irait-il de le remplacer ?... »
Je vous réponds que ça m’irait
et me voilà installé À ce propos, je voulais toujours
vous demander en quoi consistaient mes fonctions de chef du contentieux
?
On sonne
GIGONNET
On a sonné, vous n’entendez pas
?
MÉDARD
Si fait.
GIGONNET
Eh bien, allez ouvrir.
MÉDARD
Ah ! bien... Être chef du contentieux,
chez vous, ça consiste à aller ouvrir quand on sonne. Fallait
le dire, voilà tout, fallait le dire...
il sort
SCÈNE IV
GIGONNET, puis MÉDARD.
GIGONNET,
seul.
Anne-Marie, la Roussotte... Je ne me trompe
pas, c’est bien là cette fille égarée depuis dix ans,
que le comte Dubois-Toupet m’a chargé de retrouver.
MÉDARD,
entrant.
Patron... c’est un Mr. Édouard...
GIGONNET
Mr. Édouard.
MÉDARD
Oui, patron.
GIG0NNET
Faites-le entrer !
MÉDARD, annonçant.
Mr. Édouard.
GIGONNET
Il est inutile d’annoncer.
MÉDARD
Ah ! je croyais qu’en ma qualité
de chef du contentieux...
ÉDOUARD,
entrant, il ôte son chapeau !
Bonjour, papa Gigonnet.
MÉDARD,
à part.
Tiens ! il a les cheveux rouges, Mr. Édouard,
c’est comme ma jeune file de Péronne.
Il sort.
SCÈNE V
GIG0NNET, ÉDOUARD.
GIG0NNET
Bonjour, monsieur Édouard.
ÉDOUARD
Ça va bien ?
GIGONNET
Ça ne va pas mal. Vous venez me
demander un peu d’argent ?
ÉDOUARD
Non.
GIGONNET,
étonné.
Non ?
ÉDOUARD
C’est pas mal d’argent que je viens vous
demander,, et non pas un peu.
GIGONNET
Combien ?
ÉDOUARD
Trente mille.
GIGONNET
Fichtre ! ... le baccarat toujours ?...
ÉDOUARD
Ah ! mon Dieu, quand on a comme moi la
funeste manie de tirer à cinq... Mais c’est fini... je renonce,
je suis décidé à quitter Paris, à ne plus mettre
les pieds dans un cercle…
GIG0NNET
Ah ! c’est bien, cela... c’est très
bien !
Il va à son bureau.
ÉDOUARD
Je vais à Monaco. J’ai beaucoup
travaillé depuis un mois. J’ai étudié une marche,
je la crois infaillible.
GIGONNET
Et c’est pour vous en assurer que vous
venez-me de mander trente mille francs ?
ÉDOUARD
Juste.
GIGONNET
Il faudrait des garanties.
ÉDOUARD
Oh ! j’en ai.
GIGONNET
Tant mieux !
ÉDOUARD
J’ai ma marche.
GIGONNET
J’aimerais mieux autre chose.
ÉDOUARD
Elle est infaillible. Je l’ai expérimentée
en me servant de haricots... Avec trente haricots, j’en ai gagné
un million cent soixante mille.
GIGONNET
Fameux, ça. On pourrait faire sauter
Potin.
ÉDOUARD
Au lieu de trente haricots, supposez trente
mille francs... Tâchez de me les trouver, il y aura mille francs
pour vous, en dehors de l’intérêt… illégal que vous
prenez d’ordinaire.
GIGONNET
C’est bon... je tacherai, revenez demain.
ÉDOUARD,
en sortant.
Tâchez, papa Gigonnet... tâchez,
mille francs pour vous. .
Il sort.
SCÈNE VI
GIGONNET, MÉDARD,
GIGONNET
Des billets de mille francs... des chipotages...
Ce que je voudrais... c’est une grosse somme, gagnée d’un seul coup...
une somme énorme, qui me permettrait d’être honnête.
Ah ! l’honnêteté...
MÉDARD,
entrant.
C’est le Chinois.
GIGONNET
Comment, le Chinois ?
MÉDARD
Le grand Chinois... ce monsieur qui a fait
fortune en Chine. (lui donnant une carte) il ma dit de vous remettre
sa carte.
GIGONNET
lisant
Le comte Dubois-Toupet… C’est lui que vous
appelez le grand Chinois, (il s’élance vers la porte). Ah
! vous êtes toujours dans mes jambes... (il fait passer Médard
devant lui, numéro 1) Entrez donc, monsieur le comte… monsieur
le comte, je vous en prie, donnez-vous donc la peine d’entrer.
Dubois-Toupet entre,
il regarde autour de lui d’un air un
peu étonné.
Gigonnet lui présente Médard
qui est à son
bureau, le dos tourné à
Dubois-Toupet.
SCÈNE VII
Les mêmes, DUBOIS-TOUPET.
GIGONNET
Mon chef du contentieux, un garçon
très distingué... il a quitté la banque de France
pour entrer chez moi.
DUBOIS-TOUPET
sans regarder Médard.
Il a eu tort.
Il s’assied.
MÉDARD
Je me retire, n’est-ce pas, patron... je
me retire...
Il sort.
GIGONNET
Oui, voyez à la première
division !...
SCÈNE VIII
DUBOIS-TOUPET, GIGONNET.
GIGONNET
Asseyez-vous donc, monsieur le comte, je
vous en prie, donnez-vous la peine de vous asseoir...
DUBOIS-TOUPET
Pas de cérémonies... en Chine
nous ne les aimons pas... vous m’avez écrit une lettre dans laquelle
vous me dites que vous avez retrouvé ma fille ?...
GIGONNET
Oui, monsieur le comte, vous m’aviez chargé
de retrouver votre fille et votre fils, vous voyez que j’ai déjà
fait la moitié de la besogne.
DUBOIS-TOUPET
Si ce que vous dites est vrai, vous n’aurez
pas à vous plaindre de moi... je vous donnerai trois fois la somme
que je vous ai promise... et ce n’est pas tout... une fois que je vous
aurai récompensé pour avoir retrouvé ma fille, rien
n’empêchera ma fille de vous récompenser pour lui avoir fait
retrouver son père... Elle est assez riche pour cela.
GIGONNET
Elle est riche ?
DUBOIS-TOUPET
Elle est riche... Un million.
GIGONNET
Que vous lui donnez ?
DUBOIS-TOUPET
Non pas... un million qui est bien à
elle... ça lui vient de sa mère.
GIGONNET,
à part.
La voilà, la fortune... la fortune
et l’honnêteté. Il faut absolument que j’épouse cette
fille-là, avant de la lui rendre.
DUBOIS-TOUPET
Qu’est-ce que vous dites ?
GIGONNET
Rien.
DUBOIS-TOUPET
Vous êtes bizarre, vous parlez tout
le temps, et quand on vous dit : « Qu’est-ce que vous dites ? »...
vous dites que vous ne dites rien.
GIGONNET
Je vous demande pardon... Je suis obligé
de penser à tant de choses... De quoi parlions-nous ?
DUBOIS-TOUPET
Nous parlions de ma fille... quand la verrai-je
?
GIGONNET
Mais bientôt... dans une huitaine
ou une quinzaine.
DUBOIS-TOUPET
Comment, huit ou quinze jours... vous m’avez
écrit que c’était pour aujourd’hui. ..
GIGONNET
Je vous ai écrit ça, moi
?
DUBOIS-TOUPET
Oui, et j’ai là votre lettre. (la
lui montrant) Vous n’allez pas me dire qu’elle n’est pas de vous, je
suppose ?
GIGONNET
Si fait ! elle est bien de moi, mais je
ne sais pas où j’avais la tête... Cette lettre est bien de
moi, mais ce n’est pas à vous qu’elle était adressée.
DUBOIS-TOUPET
Ah ! ah !
GIGONNET,
allant à son bureau.
Non... elle était adressée
à un autre client qui, lui, doit en effet voir sa fille aujourd’hui,
tandis que …
DUBOIS-TOUPET
Tandis que moi, je ne puis voir la mienne
que dans huit jours.
GIGONNET
Oui...
DUBOIS-TOUPET
Ou dans quinze jours ?
GIGONNET
Oui, il y a des démarches..
DUBOIS-TOUPET
Décidément, vous n’êtes
qu’un farceur... Serviteur, monsieur Gigonnet.
Il va pour sortir et ouvre
la porte du fond.
Cette porte au-dessus de laquelle sont
écrits ces mots :
Conseil. de surveillance, est la porte
d’un placard
contenant les habits de Gigonnet.
GIGONNET
Pas par là, monsieur le comte...
c’est mon conseil de surveillance.
DUBOIS-TOUPET,
en sortant.
Oh ! oui, un farceur !….
SCENE IX
GIGONNET, puis MÉDARD.
GIGONNET,
seul
Enfin... il est parti... j’avais une peur
qu’elle n’arrivât pendant qu’il était là... Un million...
mon idée est bien simple... J’épouse la Roussotte, et une
fois que je l’ai épousée, je dis au comte Dubois-Toupet,
la voilà votre fille, vous voyez bien que je l’ai retrouvée...
Voyons, voyons, il faut plaire pour épouser
et pour plaire, il faut être joli... hum !. Enfin avec un petit complet
de trente-cinq francs et un coup de fer… Médard ! et bien,. . .
Médard ?…
MÉDARD
entrant
Patron !...
GIGONNET
Vous allez rester ici, Médard, et
si cette jeune fille que nous attendons...
MÉDARD
La Roussotte ?...
GIGONNET
Oui, si elle vient avant mon retour, vous
la recevrez avec les plus grands égards, vous entendez ? ...
MÉDARD
Oui, patron.
GIGONNET
Et travaillez en m’attendant... vous ne
faites rien... je ne vous donne, pas quinze francs par mois pour que vous
ne fassiez rien. Travaillez, Monsieur.
Il sort.
SCÈNE X
MÉDARD,
seul.
Oui, je vais travailler, mais pas à
tes infamies... je vais, travailler à ce qui doit me donner un jour
la fortune avec la gloire... Voyons, je tiens le refrain.
Y a pas à dire.
Je dois couronner la flamme à
A celui qu’enflamma Flamma.
Flamma, c’est une femme... je l’ai appelée
Flamma, parce que avec enflamma, ça donne un effet comique... enflamma
Flamma... C’est un effet comique. Maintenant il faut que je fasse le corps
du couplet... ça n’a pas d’importance, mais enfin, il faut le faire...
L’autre jour au restaurant,
Je voyais mon pauvr’ soupirant
(on frappe) Entrez...
J’ voyais mon pauvr’ soupirant
(on frappe une seconde fois) Entrez
donc !..»
Tout seul à sa petite table.
Me lancer un regard lamentable.
SCÈNE XI
MÉDARD, LA ROUSSOTTE.
LA ROUSSOTTE
chargée de paquets et
traînant une grosse malle.
Monsieur Gigonnet, ancien avoué
?
MÉDARD
Il est sorti... mais c’est moi qui le remplace...
Entrez donc !
LA ROUSSOTTE
Me voilà, Monsieur...
MÉDARD,
se retournant.
Ah ! mon Dieu... mes cheveux rouges de
Péronne... la jeune fille qui emporta mon cœur...
LA ROUSSOTTE
Qu’est-ce qu’il y a ?...
MÉDARD
Alors, comme ça, vous ne me reconnaissez
pas ?...
LA ROUSSOTTE
Non.
MÉDARD
Cherchez bien...
LA ROUSSOTTE
Je vous assure...
MÉDARD
A Péronne... le régiment...
le jeune réserviste qui crevait de soif et à qui vous avez
donné des cerises…
LA ROUSSOTTE
Attendez donc !...
COUPLETS
1
Attendez ! Je m’ rappell’ maint’nant
Ce tourlourou tout blanc de poussière,
Empêtré dans son fourniment,
Qu’avait pas l’air à son affaire...
Il mangeait là son pain tout sec.
J’ lui dis : Voulez-vous que je vous donne
Des ceris’s pour manger avec ?
C’est pas d’ refus, la bell’ personne...
Il croqua de bon appétit
Tout’s les ceris’s et tout’ la miche.
MÉDARD,
parlé.
C’était moi... c’était moi
!...
LA ROUSSOTTE
Quoi ! c’était vous de qui qu’ j’ai
dit...
En v’ là un qu’est pas mal godiche
!. .
Vous m’ dit’s : Vos ceris’ s, c’est combien
?
J’ vous répondis : Ell ‘s n’ sont
pas chères...
Et pour vous ça sera pour rien.
Car j’aim’ beaucoup les militaires.
Mais j’ vis bien qu’ ça vous chiffonnait
De m’ devoir comm’ ça quelque chose,
Car vous ajoutâtes : Il y aurait
Un moyen d’ m’acquitter... mais j’ n’ose...
Un p’tit baiser m’ porterait bonheur.
Va pour un p’tit baiser, j’ m’en fiche.
MÉDARD,
avec enthousiasme
Et alors qu’est-ce que j’ai fait, moi ?
LA ROUSSOTTE
Vous en prit’s deux et de bon cœur.
Pas si godich’ pour un godiche !
Là, vrai, là, si vous ne
m’aviez pas rappelé tout cela... jamais je ne vous aurais reconnu.
MÉDARD
Je vous ai reconnue tout de suite, moi...
et maintenant encore. (La Roussotte rejette ses cheveux en arrière)
Tenez, ce geste-là, vous l’avez fait après avoir jeté
les cerises.
LA ROUSSOTTE
Oh ! il y a bien longtemps que je le fais....
toute petite on me le faisait déjà remarquer.
MÉDARD
Et maintenant, malheureuse, que venez-vous
faire ici ?...
LA ROUSSOTTE
Comment, ce que je viens faire, mais je
ne sais pas moi, c’est vous qui devez le savoir.
MÉDARD
Non, je ne sais pas... Le patron ne me
l’a pas dit : mais ce doit être dû propre.
LA ROUSSOTTE
Eh !... là !
MÉDARD
Vous ne savez donc pas où vous êtes
ici ?...
LA ROUSSOTTE
Je suis chez Mr. Gigonnet, ancien avoué.
MÉDARD
Ancien avoué ? Jamais il n’a été
avoué,… vous êtes chez un agent d’affaires véreux…
tout ce qu’il y a de plus véreux... Il se passe ici des choses.
Tenez, en voulez-vous un exemple ?...
LA ROUSSOTTE
Je veux bien.
MÉDARD
Eh bien ! il y avait un pauvre cordonnier
qui était dans l’embarras... et je pourrais vous en raconter cent
comme ça, si je voulais... Il y avait une duchesse qui avait besoin
d’argent parce que son bon ami avait perdu aux cartes, alors elle est venue
ici... ici, chez Mr. Gigonnet... et elle lui a dit : « C’est pas
tout ça, il me faut de l’argent pour Rodolphe. » Parce que,
dans ce monde-là, on peut bien faire tout ce qu’on veut, mais il
faut payer ses dettes de jeu. Mon patron a répondu : « De
l’argent, je n’en ai pas, mais je connais quelqu’un qui prête à
la petite semaine. » Et savez- vous qui est-ce qui prêtait
à la petite semaine ?
LA ROUSSOTTE
C’était le cordonnier ?
MÉDARD
Non... c’était justement le duc,
le mari de la duchesse, alors quand il a vu que sa femme avait fait des
billets... ça en a fait des histoires... Vous comprenez, des histoires
à n’en plus finir... Vous êtes dans une caverne, ici, malheureuse
enfant, voilà où vous êtes.
LA ROUSSOTTE
Mais, alors, comment y êtes-vous,
vous ?
MÉDARD
Oh ! moi...
LA ROUSSOTTE
Qu’est-ce que vous avez ?... Je vous ai
fait de la peine ?
MÉDARD
Non. Pourquoi je suis ici ?... Pensez-vous
que je puisse choisir mon état, malheureux orphelin... Un jour,
on me ramassa dans la rue... Comme il avait plu depuis quarante jours on
m’appela Médard. Alors, que faire ? Lancé dans la vie, il
faut bien vivre... et je suis entré ici... et si j’y reste, c’est
que j’ai quelque chose qui me fait supporter tout ce que je vois, tout
ce que j’entends.
LA ROUSSOTTE
Qu’est-ce que vous avez qui vous fait supporter
?..
MÉDARD
La poésie !
LA ROUSSOTTE
Hé ?
MÉDARD
Vous ne comprenez pas ?
LA ROUSSOTTE
Non.
MÉDARD
Un jour, je suis entré au café-concert...
c’est un endroit dans lequel on boit et on chante... Vous comprenez ?
LA ROUSSOTTE
Parfaitement. Café, on boit... Concert,
on chante !
MÉDARD
Dans ce café-concert, il y avait
un monsieur qui chantait :
Je m’en vais aux eaux avec Zaza
Zozo avec Zaza
Zozo.
LA ROUSSOTTE
Oh ! c’est gentil, ça !... Est-ce
que vous la savez tout entière ?
MÉDARD
Non.
LA ROUSSOTTE
Oh ! c’est fâcheux.
MÉDARD
En entendant ça, j’ai eu froid à
l’estomac.
LA ROUSSOTTE
Vous aviez pris une fraîcheur.
MÉDARD
Non, c’était l’enthousiasme... l’enthousiasme
du poète... Je suis rentré, et depuis ce temps-là...
je pioche... j’en ai en train : En voici les titres : « Qui n’entend
qu’une cloche n’entend qu’un melon…- J’attends l’omnibus qui monte à
Picpus... Avec un genou sur la tête, on ne saurait pas marcher droit
»
Ce n’est pas bon... je sens que ça
n’est pas bon, mais ça ne fait rien. Je lutte, et le jour où
j’aurai triomphé, adieu le contentieux de Mr. Gigonnet. - En attendant,
je suis bien aise d’y être pour rester avec vous, pour vous défendre...
LA ROUSSOTTE
Vous croyez donc que je cours des dangers,
sérieusement ?
MÉDARD
Si vous en courez, malheureuse enfant,
je crois bien que vous en courez.
LA ROUSSOTTE
Eh bien, je m’en fiche pas mal !
MÉDARD
Comment ?
LA ROUSSOTTE
D’abord je ne suis pas poltronne, et puis...
puisque nous sommes là tous les deux...
MÉDARD
Ah ! ce regard que vous aviez en me jetant
les cerises. (La Roussotte rejette ses cheveux en arrière.)
Et puis, le petit geste.
LA ROUSSOTTE
On vient.
MÉDARD
C’est le patron, n’ayons pas l’air de nous
connaître.
Entre Gigonnet, tout habillé
de neuf et frisé.
SCÈNE XII
Les mêmes, GIGONNET,
GIGONNET,
à part.
Elle est là, je la tiens !... (haut)
Laissez-nous, monsieur Médard...
MÉDARD
Mais, patron...
GIGONNET
Laissez-nous, je vous dis...
MÉDARD,
à part.
Sapristi ! il s’est fait friser... il s’est
fait friser et il embaume... Qu’est-ce que ça veut dire ?
Il sort en faisant des
signes à la Roussotte.
SCÈNE XIII
GIGONNET, LA ROUSSOTTE.
LA ROUSSOTTE
Mr. Gigonnet, ancien avoué ?...
GIGONNET
C’est moi. Vous avez des papiers à
me remettre ?
LA ROUSSOTTE
Oui, je sais… (les lui donnant)
En v’ là d’abord qui viennent de la mairie, c’est mon état-civil.
GIGONNET
à part.
C’est bien elle, c’est bien mon million
! (il se passe la main dans les cheveux, lance un regard vainqueur à
la Roussotte et se remet à examiner les papiers.) En effet,
et puis un certificat du maître d’école.
LA ROUSSOTTE
Oh ! je suis très bien instruite.
GIGONNET
Ça se voit. Mais il y a des pièces
qui ne vous concernent pas...
LA ROUSSOTTE
Ah ! oui, ça concerne un frère
que j’ai eu et qui a disparu. Édouard, on l’appelait le Roussot.
Je ne sais pas ce qu’il est devenu. J’ai entendu dire qu’il avait fait
fortune.
GIGONNET
Tant mieux !
LA ROUSSOTTE
Mais si ça vous est inutile, rendez-les
moi.
GIGONNET
Non, non !... Je les garde, (à
part) Ça peut servir !
LA ROUSSOTTE
Et puis voilà le certificat de mon
dernier maître.
GIGONNET
L’aubergiste de Péronne ?
LA ROUSSOTTE
Oui...
GIGONNET
Tout est en règle. Vous êtes
bien la personne que j’attendais.
LA ROUSSOTTE
Qu’est-ce que vous avez à me dire
? Dites-le moi tout de suite.
GIGONNET
J’ai à vous dire que je vous ai
fait venir pour vous...
LA ROUSSOTTE
Pour me...
GIGONNET
Pour vous faire occuper une position brillante,
(à part) Je ne peux pas lui dire comme ça, tout de
suite...
LA ROUSSOTTE
C’est-y pour être bonne dans une
maison où il y aura de bons gages et pas grand’ chose à faire
?
GIGONNET
Oui, si vous voulez.
LA ROUSSOTTE
Je crois bien que je veux, combien qu’il
y aura de gages ?
GIGONNET
Ce que vous voudrez.
LA ROUSSOTTE
Eh !
GIGONNET
Cent francs... Deux cents francs..
LA ROUSSOTTE
Par an ?
GIGONNET
Non, par mois...
LA ROUSSOTTE
Où ça ?
GIGONNET
Ici, chez moi..
LA ROUSSOTTE
Ah !..
.
GIGONNET
Si vous voulez une avance... j’ai là
ma caisse...
LA ROUSSOTTE
Non, je ne demande pas ça, mais...
(elle regarde autour d’elle) Enfin, il faut croire que vous faites
des économies sur le reste, afin de bien payer vos domestiques...
On peut toujours essayer... Où est ma chambre ?
GIGONNET
Votre chambre ?
LA ROUSSOTTE
Oui.
GIGONNET,
à part.
Je vais lui donner la mienne... (haut)
Là, au fond du couloir, à gauche.
LA ROUSSOTTE
regarde encore une fois autour d’elle.
Enfin, qu’est-ce que vous voulez ?... Une
place pareille, ça ne peut pas se refuser... Je m’en vais voir ma
chambre. (revenant brusquement et levant la main) Vous n’avez pas
d’idées contre l’honneur, au moins... parce que si vous aviez des
idées contre...
GIGONNET
Non... non... au contraire...
LA ROUSSOTTE
C’est bon, alors... je m’en vais dans ma
chambre.
Elle sort.
SCÈNE XIV
GIGONNET, puis MÉDARD.
GIGONNET,
seul.
Là... au fond du couloir. Maintenant,
débarrassons-nous de Médard.
Il l’appelle. - Rentre
Médard.
MÉDARD
Eh bien! où est-elle donc ?
GIGONNET
Qui ça ?. . La Roussotte ?... Elle
est là, dans ma chambre.
MÉDARD
Elle va rester ici ?...
GIGONNET
Qu’est-ce que ça peut vous faire
?...
MÉDARD
Rien, rien du tout...
GIGONNET
Prenez cette sommation que vous avez écrite
tout à l’heure, et portez-la au domicile du sieur Tiquetonne.
MÉDARD
A Montrouge ?
GIGONNET
Oui... au Grand-Montrouge...
MÉDARD
C’est bien, c’est très bien.
Entre la Roussotte.
SCÈNE XV
Les mêmes, LA ROUSSOTTE.
LA ROUSSOTTE
Me voilà prête, qu’est-ce
que j’ai à faire ?
GIGONNET
Ce que vous avez à faire ?
LA ROUSSOTTE
Oui.
GIGONNET
Eh bien ! mais je ne tarderai pas à
dîner, mettez le couvert.
LA ROUSSOTTE
Où sont les assiettes ?
GIGONNET
Ah ! c’est vrai, vous ne savez pas...
Il va à la caisse
et se penche
pour faire jouer le ressort et ouvrir.
MÉDARD,
bas.
Il veut se débarrasser de moi. Il
m’envoie à Mont- rouge.
LA ROUSSOTTE,
bas.
C’est loin ?
MÉDARD,
bas.
Très loin.
LA ROUSSOTTE,
bas.
Mais je ne veux pas, alors...
MÉDARD,
se relevant, bas.
N’ayez donc pas peur...
GIGONNET,
se relevant.
Tenez, vous trouverez là-dedans
tout ce qu’il vous faut, (à Médard) Et bien ? Qu’est-ce
que vous faites là ?...
Vous n’êtes pas parti ?
MÉDARD
Je m’en vais !... Je prends mon chapeau.
GIG0NNET
Allez donc !
MÉDARD
Je ne peux pas aller à Montrouge
sans mon chapeau.
Il sort.
LA ROUSSOTTE
mettant le couvert avec ce
qu’elle prend dans la caisse.
Drôle de buffet, tout de même.
En ont-ils de ces inventions, dans ce Paris...
MÉDARD,
rentrant.
Qu’est-ce -que c’est que ça, encore
?... Qu’est-ce que c’est que ça ?... Ce marmiton que je viens de
rencontrer.
Entre un marmiton apportant
un dîner somptueux.
GIGONNET
Eh bien ! c’est mon dîner que je
fais venir... Qu’y a-t-il là qui vous étonne ?... Allez-vous
en, Monsieur, allez où je vous ai dit.
MÉDARD
Vous m’autorisez à prendre l’impériale
de l’omnibus ?
GIGONNET
Oui.
MÉDARD
Je vais prendre l’omnibus qui va de la
gare de l’est à Montrouge ?
GIGONNET
Oui... oui... allez... (Médard
sort. - Au marmiton) Il y a bien tout ?
LE MARMITON,
mettant les plats sur la table.
Oui, Monsieur, voyez...
GIGONNET
C’est très bien.
Le marmiton s’en va,
Gigonnet se met à table.
La Roussotte va et vient tout en servant.
SCÈNE XVI
GIGONNET, LA ROUSSOTTE.
LA ROUSSOTTE
Eh bien ! c’est bon. Si vous faites des
économies, ça n’est pas sur votre nourriture.
GIGONNET
Ah ! ah ! c’est très gai ce que
vous dites là... Vous êtes gaie...
LA ROUSSOTTE
Je suis pas triste.
GIGONNET
Tant mieux, tant mieux. Si je me mariais
jamais, je voudrais une femme qui fût gaie.
LA ROUSSOTTE
Ne me regardez pas comme ça.
GIGONNET
Pourquoi ?
LA ROUSSOTTE
Parce que je rirais. Et je ne yeux pas
rire. Une fois que je ris, c’est terrible...
GIGONNET
Causons un peu, voyons. Il y a longtemps
que vous étiez chez cet aubergiste de Péronne ?
LA ROUSSOTTE
Il y a bien sept ou huit ans. Quand le
père Savarin n’a plus été là, il a bien fallu
chercher de l’ouvrage...
J’ai trouvé une place chez l’aubergiste
de Péronne, j’ai accepté.
GIGONNET
Et dame, il a fallu travailler.
LA ROUSSOTTE
Oh ! oui. Je faisais les chambres, je répondais
aux voyageurs...
GIGONNET
Et jamais d’amoureux ?
LA ROUSSOTTE
Vous dites ?
GIGONNET
Jamais d’amoureux ?
LA ROUSSOTTE
En v’ là une bêtise !
GIGONNET
Comment ?
LA ROUSSOTTE
Demander à une belle fille comme
moi, si elle n’a jamais eu d’amoureux... Certainement si... j’en ai eu...
et à remuer à la pelle !
RONDEAU
Pour les compter, mes amoureux.
Faudrait les compter par douzaines,
J’ faisais beaucoup d’effet sur eux,
J’ leur procurais des turlutaines !..
L’ premier était un grand causeur,
Qui parlait toujours politique,
Il était commis - voyageur,
Et très enjôleux, mais bernique
!
Un jour, me trouvant sans témoin.
Il m’ prit la taill’... c’est un’ misère,
Mais s’il avait été plus
loin
Je ne l’aurais pas laissé faire.
Le deuxième était tout doré
Avec des manchett’s de batiste,
Il avait un bonnet fourré,
Je crois que c’était un dentiste...
Il me pria de lui verser
Un vin de chez nous qui vous grise,
Ses yeux se mirent à briller,
Moi je d’vins roug’ comme un’ cerise...
Il m’embrassa la lèvre... au coin...
C’était, ma foi, fort téméraire...
Mais s’il avait été plus
loin
Je ne l’aurais pas laissé faire
!
Le dernier était à cheval,
Il était au moins capitaine,
Il avait un air martial
Et portait la mine hautaine.
Il a demandé son chemin
Aux gamins sortant de l’école,
Puis il partit à fond de train
Sans m’adresser une parole.
Moi non plus je n’ lui parlai point,
Il disparut dans la poussière...
Mais je sentis quand il fut loin...
Ou’ lui j’ l’aurais peut-étr’ laissé
faire...
GIGONNET
Ah ! il y en a un que vous auriez laissé
faire ?
LA ROUSSOTTE
Il y en a toujours un comme ça...
GIGONNET
Et... est-ce qu’il me ressemblait ?...
LA ROUSSOTTE,
se tenant à quatre pour ne pas
rire.
Ah ! ben... non... ne me dites pas ça...
Ici Gigonnet vide son
verre
pour se donner du courage,
puis il regarde la Roussotte
d’un air tendre.
GIGONNET,
à part.
Il faut pourtant que je me décide
à faire ma demande. (haut) La Roussotte !
Il lui prend les mains.
Médard entre.
SCÈNE XVII
Les mêmes, MÉDARD.
GIGONNET
Hein ?..
MÉDARD
J’ai oublié mon mac-farlane !
GIGONNET
Comment, c’est encore vous ?
MÉDARD
Oui, Je ne peux pas aller à Montrouge
sans mon mac-farlane...
GIGONNET
Je vous en donnerai, moi.
MÉDARD
a pris son mac-farlane.
Voilà !... Je l’ai.
GIGONNET
Allez-vous en donc !
MÉDARD
Je prendrai aussi l’impériale pour
revenir,- n’est-ce pas ?
GIGONNET
Oui, prenez ce que vous voudrez !
MÉDARD
Je débiterai trente centimes au
grand-livre ?
GIGONNET
Eh! oui... Allez-vous en ! (il le pousse
dehors) A-t-on jamais vu !... Un homme que je charge d’une mission
importante, un homme à qui je donne quinze francs.. . non quinze
cent francs par mois.
SCÈNE XVIII
GIGONNET, LA ROUSSOTTE.
LA ROUSSOTTE
C’est peut-être parce qu’il n’a pas
envie de s’en aller !... Allons, remettez-vous et buvez !... Asseyez-vous
!
GIGONNET
Oui, je boirai, mais à une condition...
LA ROUSSOTTE
Laquelle ?
GIGONNET
C’est que vous boirez avec moi.
LA ROUSSOTTE
Oh ! quant à ça, tant que
vous voudrez…
GIGONNET
Vraiment ?
LA ROUSSOTTE
Là-bas, à l’auberge, je buvais
toujours avec les voyageurs, moi... Ça ne me faisait rien, eux,
ça leur faisait quelque chose, et alors…
GIGONNET
Et alors ?...
LA ROUSSOTTE
Alors, ils faisaient de la dépense,
c’est ce que voulait le patron...
GIGONNET
Ça ne vous fait rien ?. . . Asseyez
-vous.
LA ROUSSOTTE
Oh ! rien du tout. Tandis qu’à vous,
ça commence à vous faire quelque chose.
GIGONNET
Oh !..
LA ROUSSOTTE
Oh ! si… et je ne vous donne pas cinq minutes
pour dire une bêtise.
GIGONNET
Il n’y a pas de danger. Je suis un homme
sérieux. Asseyez-vous. Martin Gigonnet, ancien avoué...
LA ROUSSOTTE
C’est un bon état ?
Elle s’assied à
la table.
GIGONNET
Si c’est un bon état... Vous n’avez
pas l’air de croire que c’est un bon état ?
LA ROUSSOTTE
Moi, je croirai tout ce que vous voudrez.
GIGONNET
C’est un bon état... je vous assure.
Je gagne de l’argent, beaucoup d’argent... Mais j’en gagnerais encore plus
si j’étais marié.
LA ROUSSOTTE
Pourquoi ça ?
GIGONNET
Parce qu’un homme marié, ça
inspire plus de confiance.
LA ROUSSOTTE
Eh bien, alors, pourquoi ne vous mariez-vous
pas ?
GIGONNET
Mais avec qui ?
LA ROUSSOTTE
Est-ce que je sais, moi. . .
GIGONNET
Prendre une femme dans le grand monde...
dans mon monde... Je le pourrais, si je voulais... mais c’est bien scabreux.
Elles ont des instincts de coquetterie, de dépense. Tenez, savez-vous
l’idée qui me vient en vous voyant, vous si gaie, si dure au travail
?
LA ROUSSOTTE
Non... Quelle est l’idée qui vous
vient ?... (a part) La v’là, la bêtise, il va la dire.
GIGONNET
L’idée qui me vient... c’est au
lieu de chercher dans le grand monde, c’est de t’épouser, toi, tout
uniment.
LA ROUSSOTTE
La v’ là !... Elle y est... et y
a pas cinq minutes...
GIGONNET
Eh bien ! . . . Vous ne répondez
pas ?…
LA ROUSSOTTE,
éclatant de rire.
C’est pas ma faute... je vous ai dit que
quand je me mettais à rire...
GIGONNET
Je vois ce qu’il te faut, à toi...
Tu veux qu’avant de réparer ses torts, on commence par en avoir.
Eh bien, c’est bon, on en aura...
LA ROUSSOTTE
Qu’est-ce que ça veut dire, ça
?
GIGONNET,
buvant.
Ça veut dire que je vais d’abord
te prendre un baiser, puis deux baisers, puis trois, puis quatre...
LA ROUSSOTTE
l’arrêtant.
Ah ! n’ faites pas ça.
COUPLETS
I
N’ fait’s pas ça, j’ suis très
bonne fille,
Je suis douce comme un mouton.
Je suis gentille, très gentille,
Je frais pas d’ mal à un hanneton.
Mais vous auriez tort, mon p’tit père,
D’ prendre avec moi ces manières-là...
N’ fait’s pas ça, ça n’est
pas à faire,
Dans votre intérêt, n’ fait’s
pas ça !
II
J’ suis superb’ quand je suis en rage,
L’œil qui brill’, les cheveux au vent,
J’ vous ai un’ façon d’ femm’ sauvage.
C’est un spectacl’ qui f’rait de l’argent.
.
Mais si vot’ personn’ vous est chère,
N’ vous payez pas ce spectacl’ là...
N’ fait’s pas ça, ça n’est
pas à faire,
Dans votre intérêt, n’ fait’s
pas ça !
GIGONNET
Tant pis, je me risque.
Elle lui donne un grand
soufflet.
LA ROUSSOTTE,
poursuivie par Gigonnet, et
lui jetant à la tête
tous les dossiers qui sont sur le bureau.
Tiens donc !… tiens donc !…
SCÈNE XIX
Les mêmes, MÉDARD.
MÉDARD,
entrant.
Qu’est-ce qui se passe donc ici ?
GIGONNET
Rien!... Rien!... Nous jouons !...
LA ROUSSOTTE,
allant à Médard.
Mais, pas du tout... Il a voulu m’embrasser...
MÉDARD,
l’embrassant.
Vous embrasser... le misérable...
Mais, je suis là, et je vous emmène...
GIGONNET
Et vous croyez que je vous laisserai partir
?...
MÉDARD
Mais, certainement, je le crois, mais certainement.
(il saisit Gigonnet et le fourre dans la caisse) Là, comme
ça, au moins, il y aura quelque chose dans la caisse...
LA ROUSSOTTE
Pas grand’ chose... mais quelque chose...
MÉNARD
Venez vite...
LA ROUSSOTTE
Mais, il me manque...
MÉDARD
Prenez mon mac-farlane...
LA ROUSSOTTE
Allons, maintenant...
GIGONNET,
crevant le haut de la caisse
avec sa tète et apparaissant.
A moi, à moi !... |