ADÈLE, MARIA, HÉLOÏSE,
à la première table de droite,
MÉDARD, seul, à une petite
table à gauche.
CONSOMMATEURS.
ADÈLE
Moi, d’abord, un homme qui joue du piano,
je ne comprends pas qu’on lui résiste.
MARIA
Oh ! oh !
ADÈLE
Je suis comme ça...
HÉLOÏSE
Faut qu’il en joue bien alors, parce que
s’il en jouait mal...
ADÈLE
L’homme que j’ai le plus aimé au
monde se mettait devant un piano, n’importe lequel, il faisait comme ça
: pim, pim, pim, pim... C’était censé des perles qui tombaient...
pim, pim, pim, pim... ça durait deux heures... au bout de ces deux
heures-là, j’étais folle... on aurait fait de moi ce qu’on
aurait voulu, on m’aurait dit d’être honnête...
MARIA
Moi, je n’aime pas la musique sans paroles...
il me faut des paroles !
HÉLOÏSE
Oh ! les paroles...
MARIA
Je ne tiens pas à comprendre, pourvu
qu’il y ait de l’amour et que l’on parle d’un pays où l’on aurait
envie d’aller.
HÉLOÏSE
Du sentiment, alors ?...
MARIA
Je ne m’en cache pas.
HÉLOÏSE
J’aime mieux les bêtises...
ADÈLE
Une femme qui les chante bien, les bêtises,
c’est la nouvelle bonne de madame Victor, celle qui est ici depuis trois
jours...
MARIA
La Roussotte ?...
ADÈLE
Oui. Hier soir, j’étais venue avant
tout le monde... La Roussotte se croyait seule, elle chantait... Eh bien!
je vous assure, il y a des étoiles, à qui on donne jusqu’à
des dix francs par jour, dans des cafés, et qui ne chantent pas
mieux qu’elle.
HÉLOÏSE
Faudrait voir ça.
Elle étale un jeu de cartes devant
elle, et se met à se tirer les cartes. Quelques consommateurs tapent
sur les tables, appelant: « La fille !… La fille !... » - Entre
la Roussotte portant en équilibre autant de plats que possible,
elle les distribue avant de chanter, pendant la ritournelle du morceau
suivant.
SCÈNE II
Les mêmes, LA ROUSSOTTE.
LA ROUSSOTTE
I
Un peu d’ silence.
On n’est pas sourd...
Prenez patience,
Chacun son tour.
Faut que j’ réponde
En même temps
A tout le monde,
A tous les gens.
L’un m’interpelle
Pour son fricot,
L’autre me hèle
Pour son gigot...
Holà ! La fille !
Un fricandeau !
Mat’lott’ d’anguille !
Ma têt’ de veau !
Allons, la bonne,
Qu’est-c’ que je dois ?
J’ suis bonn’ personne.
Mais j’ peux pas tout faire à la
fois.
Ma pauvre Roussotte,
Faut- il, saperlotte !
Qu’ tu fass’s un service aussi dur que
ça !
Oh ! sur ma parole,
Je deviendrai folle
A ce métier-là !
II
A toute minute
Pour ma vertu.
Il faut que j’ lutte !
Métier ardu !
Mais ceux qui boivent
Me guett’nt, et quand
Ils m’aperçoivent
Me fatiguant
De leurs sornettes,
Avec mes bras
Chargés d’assiettes,
Criblés de plats.
Vite, ils accourent
Pour m’embrasser.
Et tous m’entourent,
J’ veux les r’pousser.
Et dans mon zèle,
A ce métier,
J’ cass’ la vaisselle
Mais l’honneur ! l’honneur reste entier.
Ma pauvr’ Roussotte,
Faut-il, saperlotte !
Qu’ tu fass’s un service aussi dur que
ça !
Ah ! sur ma parole,
Je deviendrai folle
A ce métier-là !
Elle s’approche de Médard qui
la regarde avec admiration.
LA ROUSSOTTE,
parlé, à Médard.
Vous avez fini, vous ?
MÉDARD
J’ai fini depuis deux heures, mais ça
ne fait rien. Je reste là à vous regarder aller et venir,
ça m’amuse.
Une bonne idée que j’ai eue, tout
de même, de vous amener ici, quand nous nous sommes sauvés
de chez l’infâme Gigonnet...
LA ROUSSOTTE
Oh ! oui, une bonne idée !... Vous
ne l’avez pas revu, l’infâme Gigonnet ?
MÉDARD
Non. Il me doit cinq jours de contentieux,
mais je n’ai pas jugé à propos de les lui réclamer,
le misérable !... Ce qui me chiffonne, c’est que j’ai beau me creuser
la tête, je ne peux pas arriver à deviner quel était
son plan en vous attirant.
LA ROUSSOTTE
Il me semble que ce n’est pas facile à
deviner...
MÉDARD
Oh ! non, ça ne devait pas être
pour ça seulement..
LA ROUSSOTTE
Vous croyez ?
MÉDARD
Cette idée-là... l’idée
à laquelle vous faites allusion... elle aurait pu, à la rigueur,
venir à un honnête homme... Ce gredin de Gigonnet avait dû
penser à autre chose... J’en suis sûr, et je suis sûr
aussi que vous n’en avez pas fini avec lui, il essaiera de vous repincer...
LA ROUSSOTTE
Qu’il y vienne !
Madame Victor est rentrée en scène
depuis quelques instants, elle est à son comptoir.
SCÈNE III
Les mêmes, MADAME VICTOR
MADAME VICTOR
Eh bien! la Roussotte ?
LA ROUSSOTTE
Madame...
MADAME VICTOR
Vous n’avez donc pas dit à l’as,
ce que je vous avais chargée de lui dire ?
LA ROUSSOTTE
Non, Madame, non... pas encore, mais je
vais lui dire. Madame, je vais lui dire...
MADAME VICTOR
Je vous y engage, si vous ne voulez pas
que je lui dise moi-même.
Elle sort.
LA ROUSSOTTE
Je vais lui dire.
SCÈNE IV
Les mêmes, moins MADAME VICTOR.
MÉDARD
Mais, c’est moi, l’as ?...
LA ROUSSOTTE
Oui, et ce que madame Victor m’a chargée
de vous dire, c’est qu’elle vous est certainement très reconnaissante
de venir comme ça tous les jours déjeuner et dîner
chez elle, mais...
MÉDARD
Mais quoi ? Voyons, mais quoi ?... Elle
ne peut pas dire que je lui dois de l’argent puisqu’on ne fait pas de crédit
ici, depuis le jour où un certain Mr. Édouard est parti en
laissant une note... Il paraît qu’elle était fameuse la note…
LA ROUSSOTTE,
montrant la table.
Madame Victor trouve que vous restez trop
de temps et elle n’a pas tort. Vous avouez vous-même que vous avez
fini depuis deux heures.
MÉDARD
Je lui neutralise une table, voilà
ce qu’elle me reproche, je lui neutralise une table...
LA ROUSSOTTE
Elle ne le dit peut-être pas aussi
bien, mais...
MÉDARD
Elle a raison... je m’en vais. Qu’est-ce
que j’ai.... un aloyau purée, un chester, un carafon de vin.
LA ROUSSOTTE
Ça fait dix-huit sous.
Il paie.
La Roussotte rend deux sous.
MÉDARD
Gardez...
LA ROUSSOTTE
Oh ! monsieur Médard, à moi
!...
MÉDARD
Je vous en prie...
LA ROUSSOTTE
Je ne veux pas...
MÉDARD
Vous me désobligerez, vraiment.
LA ROUSSOTTE
Songez donc, vous n’avez plus de place...
MÉDARD
Je vais en avoir une, j’ai un ami qui m’a
promis de m’en faire avoir une dans une compagnie de publicité.
(montrant les deux sous) Si vous
ne les prenez pas, je vous avertis que j’en ferai un mauvais usage.
LA ROUSSOTTE,
les prenant.
Oh ! alors... mais, c’est bien pour
vous faire plaisir... j’aurais cru qu’entre nous...
MÉDARD
Je m’en vais... et savez-vous ce que je
me reproche, en m’en allant, c’est de ne pas vous aimer assez...
LA ROUSSOTTE
Vous m’aimez bien, pourtant, il me semble
que vous m’aimez bien...
MÉDARD
Oui, je vous aime bien, mais je ne vous
aime pas assez... (prenant le ton de quelqu’un qui explique quelque
chose de très compliqué) Puisque tout à l’heure,
quand je reviendrai, je vous aimerai mille fois plus que maintenant, ça
prouve que maintenant je ne vous aime pas encore assez...
LA ROUSSOTTE
Tiens, c’est gentil ça... Est-ce
que c’est des vers ?
MÉDARD
Ça a l’air d’être des vers
parce que ça ne se comprend pas très bien... Mais ça
n’est pas encore... Il faudrait le dernier coup de fion... .
LA ROUSSOTTE
Vous le donnerez, n’est-ce pas ?
MÉDARD
Si vous le désirez...
LA ROUSSOTTE
Oui. Et vous en ferez une chanson... que
j’apprendrai comme j’ai appris les autres... car je les sais toutes par
cœur, maintenant, et je les chante quand je suis seule.
MÉDARD
Femme admirable !... Eh bien, elle est
libre sa table, et personne ne la prend...
LA ROUSSOTTE
On l’aurait peut-être prise tout
à l’heure... Vous partez ?...
MÉDARD
Il le faut bien... puisque votre patronne...
LA R0USSOTTE
Si vous avez cette place, vous viendrez
me le dire, n’est-ce pas ? Vous viendrez me le dire tout de suite.
MÉDARD
Je vous le promets...
Il sort.
SCÈNE V
Les mêmes moins MÉDARD.
MARIA
La Roussotte ! La Roussotte ! faites-moi
non absinthe.
LA ROUSSOTTE
Voilà. Mademoiselle !
Elle fait l’absinthe avec
le plus grand soin,
versant l’eau de très haut,
etc.
ADÈLE
Je disais tout à l’heure à
ces dames que, hier, je vous avais entendue et que vous chantiez très
bien !
Un consommateur entre.
LA ROUSSOTTE
Je ne sais pas, je sais que quand je chante,
ça me fait plaisir, à moi... Tant mieux si ça fait
plaisir aux autres.
HÉLOÏSE
Vous devriez nous chanter quelque chose.
J’ai un ami qui est quatrième ténor au Beuglant d’à
côté...
LA ROUSSOTTE
Vraiment ?
HÉLOÏSE
très digne.
Oui, ma chère.
LA ROUSSOTTE
Et si vous étiez contente de ma
chanson, vous lui en parleriez, à votre ami ?
HÉLOÏSE
Sans doute...
LA ROUSSOTTE
Je crois bien, alors... (à part)
L’avenir de Médard, peut-être... (haut) Je crois bien,
alors, que je vous chanterai quelque chose... Pas maintenant... il y a
encore trop de monde... mais, tout à l’heure, quand le coup de feu
sera passé... parce que la patronne... pas commode, la patronne
!...
ADÈLE
C’est promis ?...
LA ROUSSOTTE
C’est promis... (au consommateur qui
vient d’entrer) Qu’est ce qu’il vous faut. Monsieur ?...
Le consommateur lui fait sa commande tout
bas. - Édouard vient d’entrer par la porte du fond, il descend vers
la table ou sont les trois femmes qui ont repris leur patience. La Roussette
sort quelques instants après l’entrée d’Édouard. Il
ne t’a pas vue.
SCÈNE VI
Les mêmes, ÉDOUARD.
ÉDOUARD
Moi, je mettrais le valet de trèfle
sur le dix de trèfle !
LES TROIS FEMMES,
se retournant.
Édouard !...
ÉDOUARD
Cette chère Adèle, cette
bonne Héloïse, cette excellente Maria !...
MARIA
Vous vous trompez, moi, Maria...
HÉLOÏSE
Moi, Héloïse.
ADÈLE
Et moi, Adèle.
ÉDOUARD
Vous en êtes bien sûres ?...
Enfin, vous savez cela mieux que moi... il y a pas mal de temps qu’on ne
s’est vu...
HÉLOÏSE
Au moins deux ans... Vous avez disparu
tout d’un coup... La mère Victor nous parlait encore de vous ce
matin...
ADÈLE
Elle nous en parle tous les jours, de vous,
la mère Victor...
ÉDOUARD
A cause de mon compte, pas vrai ?... Eh
bien, qu’elle soit heureuse... Je viens le régler, mon compte...
MARIA
Pas possible !...
ÉDOUARD
Parole d’honneur ! . . .
ADÈLE
Mère Victor !... Faut lui annoncer
ça avec des ménagements, ça serait capable... Mère
Victor !
TOUTES
Mère Victor !... mère Victor
!...
MADAME VICTOR,
ouvrant son petit guichet.
Qu’est-ce qu’il y a ?
HÉLOÏSE
Une ancienne connaissance !
MARIA
Regardez...
MADAME VICTOR
Vous, Monsieur...
ÉDOUARD
Oui, moi... qui viens payer mes vieilles
additions...
MADAME VICTOR
Toutes ?...
ÉDOUARD
Toutes.
MADAME VICTOR
Ah !.
Elle disparaît.
On entend un bruit de vaisselle cassée.
ADÈLE
Qu’est-ce qui lui arrive?... Je vous avais
bien dit qu’il fallait y mettre des ménagements...
MADAME VICTOR,
reparaissant.
C’est la joie, n’ayez pas peur... Vous
me devez quatre cent soixante-treize francs vingt-cinq, mon bon monsieur...
Si vous désirez vérifier, rien de plus facile... mais,
ce n’est pas la peine, je suis sûre du chiffre, je me le répétais
tous les soirs avant de m’endormir.
ÉDOUARD
Voilà cinq cents francs !
MADAME VICTOR
Je vais vous rendre...
Elle va au comptoir.
Rentre la Roussotte, elle va servir
le
consommateur à gauche.
MARIA
Eh bien! moi, j’ai beau faire... jamais
je n’arriverai à comprendre.
ÉDOUARD
Qu’est-ce que vous ne comprenez pas ?
MARIA
Comment l’idée a pu vous venir de
payer la mère Victor ?
ÉDOUARD
Je vais vous dire... Hier, je rencontre
un ancien chapelier à qui je devais trois cents francs, je les lui
donne.. Après les lui avoir donnés, j’entre au cercle...
et là je gagne... Alors, je me suis dit : Tiens, tiens...
Est-ce que par hasard ça porterait
bonheur de payer ses vieilles dettes... Voilà pourquoi je suis venu
payer la mère Victor...
MARIA
Ah! bien, comme ça, je comprends.
MADAME VICTOR
Tenez, voilà ce que je vous redois...
vingt-six francs soixante-quinze.
Édouard les reprend.
Après les avoir pris, il regarde
la Roussotte.
Celle-ci le regarde.
Ils ont tous les deux
les cheveux du même rouge.
ÉDOUARD
C’est vous qui êtes la fille ?
LA ROUSSOTTE
Oui, M’sieu, c’est moi qui suis la fille..
ÉDOUARD
Elle a de drôles de cheveux, la fille.
LA ROUSSOTTE
Ma foi, de la couleur des vôtres...
Ils sont gentils, les vôtres !...
ÉDOUARD
Oui, pas mal !...
LA ROUSSOTTE
Qu’est-ce que vous avez à me regarder
comme ça ?
ÉDOUARD
C’est comme un souvenir... il me semble
quand j’étais tout petit... (faisant le geste d’un homme qui
cherche à se rappeler quelque chose et qui ne peut pas) Tenez,
la fille. Il lui donne les vingt-six francs.
LA ROUSSOTTE
Tout ça pour moi, tout...
ÉDOUARD
Oui, tout, et je ne sais pas pourquoi,
mais ça me fait plaisir de vous les donner...
LA ROUSSOTTE
Eh ben !... venant de vous, ça me
fait plaisir de les recevoir... Merci, Monsieur.
Elle s’en va à
gauche.
ÉDOUARD
Adieu, Adèle, adieu, Héloïse,
adieu, Maria... Je ne me suis pas trompé cette fois ?... Adieu,
la mère Victor, adieu.
En regardant la Roussette,
Édouard sort.
LES FEMMES
Adieu, Édouard ! Adieu ! adieu !
MADAME VICTOR,
à la Roussette.
Je m’en vais... Maintenant que tous les
restaurateurs de Paris ont fait leurs provisions, je m’en vas voir à
la halle, si je ne trouverais pas quelque chose de pas trop cher pour le
dîner de ce soir...
LA ROUSSOTTE
Bien, Madame. Mais pas si haut, il y a
encore des clients….
Madame Victor sort
SCÈNE VII
Les mêmes,
moins ÉDOUARD et MADAME VICTOR,
puis MÉDARD.
MARIA
Et allez donc, maintenant qu’elle est partie,
c’est le moment, la Roussotte...
LA ROUSSOTTE
Je ne demande pas mieux !
Entre Médard.
MÉDARD
J’ai la place... je suis nommé,
j’entrerai en fonctions à deux heures... heure militaire...
LA ROUSSOTTE
Nous avons le temps, alors... (lui faisant
signe, de venir dans un coin du théâtre) Dites donc, monsieur
Médard ?...
MÉDARD
Femme admirable...
LA ROUSSOTTE
Ces demoiselles me demandent de leur chanter
une de vos chansons afin de voir un peu l’effet que ça produirait
sur le public...
MÉDARD
C’est une idée ça, et d’autant
meilleure que ce monsieur... là... vous voyez... ce monsieur qui
est dans le coin…
LA ROUSSOTTE
Oui
MÉDARD
Eh bien !... je crois, j’ai tout lieu de
croire que c’est le Directeur de l’Éden de la rue Oberkampf.
LA ROUSSOTTE
Oh ! je vais bien m’appliquer, alors.
MÉDARD
Qu’est-ce que vous allez chanter ?
LA ROUSSOTTE
La fille du peintre en bâtiments.
MÉDARD
C’est une des bonnes, c’est une des bonnes,
ce n’est pas la meilleure, mais c’est une des bonnes….
CHANSON NATURALISTE
COUPLETS
I
Y a pas d’ancêlr’s dans ma famille,
Montmartre a vu mes premiers ans !
Je suis tout bonnement la fille
D’un simple peintre en bâtiments
!
Quand y v’naît des clients, ma mère
M’app’lait d’en bas et me disait :
Amanda, va chercher ton père,
Il doit être chez l’mastroquet.
Comm’ la pudeur n’ pouvait m’ permettre
D’ franchir le seuil des cabarets,
J’app’lais papa par la fenêtre,
Et du plus loin que je l’ voyais,
Hé Pi . . . . ouit !
Il n’ se faisait pas dir’ deux fois,
Et je ramenais not’ bourgeois,
Hé Pi . . . . ouit !
Les peintres en bâtiments
Sont de bons enfants,
Hé Pi . . . . ouit !
II
Quand je fus grande et courtisée,
D’un pied léger, le soir venu
Je m’en allais à l’Élysée,
Celui d’ Montmartr’, bien entendu,
Et comm’ j’étais des plus ingambes,
J’y pinçais un pas sans égal,
Et j’ provoquais par mes ronds d’ jambes
L’émotion du municipal !
Mais papa n’aimait pas qu’ sa fille
Risquât des pas si pleins d’effet.
Et souvent au fort du quadrille,
J’entendais sa voix qui m’ criait :
Hé Pi . . . . ouit !
Je n’ me l’ faisais pas dire deux fois,
Et je rentrais chez not’ bourgeois,
Hé Pi . . . . ouit !
III
Il eut raison, c’t’ excellent père,
Car c’est bien l’effet du hasard.
V’là que j’épouse un millionnaire,
Un princ’ moscovite, un boyard.
La nuit à l’heure où l’cœur
s’épanche.
Il m’emmena chez lui loger...
Il ôta sa cravate blanche,
Moi, j’ôtai ma fleur d’oranger.
Tout à coup d’vant not’ résidence,
J’entends du bruit, qu’est-c’ que c’est
qu’ ça ?
C’étaient des bons amis d’enfance
Qui m’annonçaient qu’ils étaient
là’
Hé Pi . . . . ouit !
Ils me le répétèr’nt
deux fois !
V’lan ! ça défrisa mon bourgeois.
Hé Pi . . . . ouit !
IV
Mais le prince avait de la race.
Il se remit d’ c’t’ incident,
Et, je le confess’ sans grimace,
Nous nous aimâmes. Cependant,
C’pendant il me manquait quèqu’chose
Pour que mon bonheur fût complet,
Quelque chose de blanc, de rose,
Tout’s les mamans savent c’ que c’est.
Cette joi’ j’ brûlais d’ la connaître,
J’en voulais presqu’à mon mari.
Quand un jour, là.., dans l’ fond
de mon être.
Je crus entendre un petit cri l
Hé Pi . . . . ouit !
C’était lui ! j’ reconnus sa voix,
C’était mon nouveau p’tit bourgeois.
Hé Pi . . . . ouit !
LES FEMMES
Bravo ! la Roussotte, bravo !
LA ROUSSOTTE
Ce n’est pas à moi qu’il faut dire
bravo ! c’est à lui, l’auteur !
LES FEMMES
Compliments, Monsieur, félicitations.
MÉDARD,
à la Roussotte.
Merci, Mesdemoiselles... Femme admirable
!... La voilà, la première caresse de la gloire : et c’est
à, vous que je la dois...
LA ROUSSOTTE,
lui montrant le monsieur
qui se dispose à s’en aller.
Le monsieur... le monsieur. . allez vite
lui demander...
MÉDARD
Ah ! oui... (il s’approche du monsieur)
Eh bien, Monsieur, avez- vous été satisfait ?
LE MONSIEUR
Enchanté... le bœuf aux choux, surtout,
était excellent...
MÉDARD
Ce n’est pas de ça que je vous parle...
Je sais, Monsieur, ou du moins, je crois, j’ai tout lieu de croire que
vous êtes le directeur de... l’Éden de la rue Oberkampf.
LE MONSIEUR
Moi ?... pas du tout, je suis placeur en
vins... c’est moi qui place les nouveaux vins de Bordeaux que l’on va fabriquer
en Algérie...
Il sort.
MÉDARD,
désappointé
Ah !... c’est un avertissement ça...
Ça veut dire qu’il ne faut pas me laisser griser par le succès
et que, puisque j’ai une place, je dois la garder... Deux heures... je
m’en vas entrer en fonctions... A bientôt femme admirable !…
LA ROUSSOTTE
A bientôt, mon poète !...
MÉDARD
Vous pouvez le dire... je suis en train
d’en faire une spécialement pour vous : ça n’est pas encore
mûr, mais ça bout...
Un pâ, deux pâ, trois pâ,
quatr’ pâ !
Quat’ pâtissiers, faisaient de la
galette...
Un pâ, deux pâ, trois pâ,
quatr’ pâ !
Quat’ pâtissiers faisaient du pain
trop mou…
Survint une cantinière,
Qui leur dit ceci :
Vous étouffez mes pensionnaires,
C’est moi qui vous V dis’
Un pâ, deux pâ, etc., etc.
Adieu, Mesdemoiselles, et merci de vos
bons encouragements. Faites-vous chanter celle-là quand je la lui
aurai donnée.
Un pâ, deux pâ, trois pâ,
quatr’ pâ !
Quat’ pâtissiers, faisaient de la
galette...
Il sort.
LA ROUSSOTTE,
à Héloïse.
Vous lui parlerez, n’est-ce pas. Mademoiselle,
à votre quatrième ténor.
HÉLOÏSE
Je crois bien que je lui parlerai et pas
plus tard que tout de suite...
LA ROUSSOTTE
Allez-y, Mademoiselle, allez-y. (elles
sortent) Oh ! être femme !... être la femme d’un poète...
En attendant faut que j’aille laver ma vaisselle…
Chantant
Un pâ, deux pâ, trois pâ,
quatr’ pâ !
Je la sais déjà.
Elle entre dans la cuisine.
SCÈNE VIII
GIGONNET, DUBOIS-TOUPET, puis LA ROUSSOTTE.
GIGONNET
Entrez donc, monsieur le comte... 45, boulevard
Rochechouart... une crémerie... c’est bien ça.
DUBOIS-TOUPET
Ma fille est ici ?...
GIGONNET
Oui, mais n’oubliez pas ce que vous m’avez
promis, que quelle que soit la récompense que je vous demande, vous
me l’accorderez...
DUBOIS-TOUPET
Oui, oui, c’est convenu, ma fille…
GIGONNET
Tout de suite, monsieur le comte. A la
boutique vous allez voir qu’elle est ici...
LA ROUSSOTTE,
entrant.
Voilà ! Voilà !
GIGONNET
Bonjour, la Roussotte.
LA ROUSSOTTE
Gigonnet !
GIGONNET
Vous m’avez quitté un peu brusquement
l’autre fois.. Vous avez eu tort. Si je vous avais fait venir à
Paris c’était pour vous rendre un père.
LA ROUSSOTTE
Un père !
DUBOIS-TOUPET
Oui, moi... vous ne me croyez pas…
LA ROUSSOTTE
Je vous croirais - peut-être, si
vous n’étiez pas avec ce...
DUBOIS-TOUPET
Heureusement, il ne me sera pas difficile
de vous, convaincre rappelez-vous quand je faisais le cheval.
Tré, tré, tré, trémoussez-vous
donc, Etc.
Voyons, regardez-moi, quand j’étais
chez le père Savarin…
LA ROUSSOTTE
Oui, en effet, il me semble... Trémoussez-vous
donc, ma dondaine, etc. (elle chante, Dubois-Toupet, reprend avec elle)
Mon oncle... . .
DUBOIS-TOUPET
Non, ton père ! Je peux le dire
maintenant.
LA ROUSSOTTE
Papa !... âh !... Voulez- vous prendre
quelque chose ?
GIGONNET,
à Dubois-Toupet.
Maintenant, si nous parlions de la récompense.
DUBOIS-TOUPET
Tout ce que vous voudrez. Voulez-vous dix
mille francs, vingt mille francs ?
GIGONNET
Non, je veux autre chose, mais vous ne
consentirez peut-être pas !
DUBOIS-TOUPET
Quoi donc ?
GIGONNET
Je vous prie de m’accorder la main de Mademoiselle
!
LA ROUSSOTTE
Par exemple !
DUBOIS-TOUPET
Demandez-moi de l’argent, monsieur Gigonnet,
beaucoup d’argent... mais, quant à sa main, non.... (à
la Roussotte) Je te trouverai mieux que ça…
LA ROUSSOTTE
Oh ! quant à un mari, vous n’avez
pas besoin de chercher... J’en ai un en vue, Mr. Médard !...
GIGONNET
Médard !... vous avez envie d’épouser
Médard ?
LA ROUSSOTTE
Sans doute !... Et ce n’est pas vous qui
m’empêcherez peut-être...
GIGONNET,
à Dubois-Toupet
Votre serviteur, monsieur le comte !...
j’aurai prochainement l’honneur de vous revoir !... (à part)
Tu verras bien, toi, si tu épouses Mr. Médard...
Il sort.
SCÈNE IX
Les mêmes, moins GIGONNET.
DUBOIS-TOUPET
Qu’est-ce que c’est que Mr. Médard
?
LA ROUSSOTTE
Mr. Médard ?... C’est celui que
j’aime !
DUBOIS-TOUPET
Quelque pauvre diable !
LA ROUSSOTTE
Il a une place !
DUBOIS-TOUPET,
dédaigneux.
Dans le gouvernement ?
LA ROUSSOTTE,
fièrement.
Non, dans les annonces...
DUBOIS-TOUPET
Ça ne fait rien... Ce n’est pas
un mari pour toi. Tu es riche, maintenant, tu es très riche, tu
as un million à toi !...
LA ROUSSOTTE
Un million ?
DUBOIS-TOUPET
Oui.
LA ROUSSOTTE
Qu’est-ce que c’est que ça ?
DUBOIS-TOUPET
Tu ne sais pas ce que c’est qu’un million,
sais-tu au moins ce que c’est qu’une pièce de cinquante centimes
?
LA ROUSSOTTE
Oh ! oui !
DUBOIS-TOUPET
Eh bien ! un million, c’est deux millions
de pièces de cinquante centimes... Maintenant, tu sais ce que c’est
qu’un million. Une demoiselle qui a tant de pièces de cinquante
centimes que ça, ne peut vraiment pas épouser…
LA ROUSSOTTE
Mais cependant, papa ?
DUBOIS-TOUPET
Cependant ?
LA ROUSSOTTE
Oui, papa, cependant...
DUBOIS-TOUPET
Ah ! mon Dieu !... est-ce que ?... Pauvre
fille, aurais-je le droit de te reprocher... Est-ce que Mr. Médard...
LA ROUSSOTTE
Mr. Médard ?...
DUBOIS-TOUPET
Est-ce qu’il t’aurait fait oublier...
LA ROUSSOTTE
Oh ! non, papa, jamais...
DUBOIS-TOUPET
Jamais ?...
LA ROUSSOTTE
Jamais, jamais...
DUBOIS-TOUPET
Rien de plus simple, alors, que de l’envoyer
promener, embrasse-moi, tu es une brave fille... Voyons, je m’en vais chercher
une voiture... Tu as sans doute ici quelques petites choses que tu tiens
à emporter ?...
LA ROUSSOTTE
Mais, papa, Mr. Médard
DUBOIS-TOUPET
Il ne faut plus y penser, à Mr.
Médard... Tu n’auras pas plutôt passé une quinzaine
de jours au milieu du luxe dont je veux t’entourer, que tu comprendras
toi-même... Va, ma fille.
LA ROUSSOTTE
Oui, papa, j’y vais.
DUBOIS-TOUPET
Va, ma fille. (sort la Roussotte)
Madame Médard !... Je vous demande si c’est possible... Madame Médard
!..
(il fait un pas pour sortir et se retrouve
en face de Médard qui vient d’entrer. Médard est couvert
d’une de ces guérites portatives sur lesquelles on met les annonces.
Sur la pancarte de devant il y a écrit en grosses lettres) -
ELLE N’ÉTAIT QU’ÉVANOUIE ?... ET LUI, QU’EST-CE QU’IL ÉTAIT
?...
Il tient à la main
des prospectus
et en offre à Dubois-Toupet.
MÉDARD,
offrant un prospectus.
Monsieur...
DUBOIS-TOUPET
Je vous remercie. Monsieur.
Il salue Médard
très joliment
et s’en va.
SCÈNE X
MÉDARD
J’ai la place... Elle n’est peut-être
pas aussi brillante que je pouvais l’espérer, mais enfin, qu’est-ce
que vous voulez ?... J’ai le pied dans l’étrier : c’est à
moi, maintenant, de m’élever par mon zèle et par mon intelligence.
Ce costume non plus n’est pas très avantageux... Mais il y a la
façon de le porter... et puis c’est très commode pour faire
des farces à ses amis et connaissances. Vous allez voir, (il
appelle) A la boutique ! à la boutique !
Entré la Roussotte,
Médard a disparu dans son appareil.
La Roussotte parait très surprise
de ne trouver
personne et de voir cet objet
bizarre au milieu de la scène.
SCÈNE XI
MÉDARD, LA ROUSSOTTE.
LA ROUSSOTTE
Qu’est-ce que c’est que ça ?
Elle s’approche de l’appareil.
Médard reste caché.
La Roussotte lit :
Elle n’était qu’évanouie,
etc.
Médard se montre.
MÉDARD
Ah ! le voila !
LA ROUSSOTTE
Est-ce bête de faire des peurs comme
ça... comment c’est vous ?
MÉDARD
Oui, c’est moi, et puis le petit bonhomme
n’y est plus. (il disparaît) Et puis, il y est encore. (Il
reparaît)
LA ROUSSOTTE
Il plaisante, le malheureux !
MÉDARD
Et pourquoi donc ne plaisanterais-je pas
?... Qu’est- ce qu’il y a, mon Dieu ?
LA ROUSSOTTE
Il y a que depuis tout à l’heure,
depuis que vous êtes parti, il s’est passé des choses... Mais
ôtez ça, je vous prie, la scène est vraiment trop grave
pour que vous puissiez garder ça sur le dos.
MÉDARD
essayant de sortir de sa carapace.
Allons, bien… voilà que je ne peux
pas, à cette heure…
Ah ! si, ça y est, parlez, maintenant,
parlez.
LA ROUSSOTTE
Vous avez trouvé une place, vous
?... Eh ! bien, moi, pendant ce temps-là, j’ai trouvé un
père !..
MÉDARD
Est-il possible !
LA ROUSSOTTE
Tout à l’heure, en entrant, est-ce
que vous n’avez pas rencontré ?...
MÉDARD
Si fait !... C’était votre père
?... Excusez !
LA ROUSSOTTE
Oui, papa appartient aux classes les plus
élevées de la société, il est riche, et moi
aussi je suis riche.
MÉDARD
Tant mieux !
LA ROUSSOTTE
J’ai un million.
MÉDARD
Un million ?..
LA ROUSSOTTE
Oui.
MÉDARD,
ravi.
C’est un chiffre, cela, c’est un chiffre...
LA ROUSSOTTE
Vous ne voyez pas là un obstacle
?
MÉDARD
A quoi ?
LA ROUSSOTTE
A notre mariage ?...
MÉDARD
Parce que vous êtes riche ?... Allons
donc ! ça se dit dans les pièces de comédie, ces bêtises-là,
mais dans la vie réelle, jamais la fortune n’a empêché...
Ça a du bon, la fortune... Ça sert à un tas de choses,
ainsi, mes débuts littéraires, vous verrez comme ça
les facilitera.
LA ROUSSOTTE,
embarrassée.
Je ne dis pas non... mais...
MÉDARD
Mais quoi ? qu’est-ce qu’il y a, voyons
?
LA ROUSSOTTE
Mon père...
MÉDARD
Eh bien ?...
LA ROUSSOTTE
Il ne veut pas que je vous épouse...
MÉDARD
Déjà !
LA ROUSSOTTE
Il dit qu’une demoiselle riche ne doit
pas se marier avec...
MÉDARD
Ah bien ! En voilà un qui ne perd
pas de temps pour jouer son rôle de père... Il n’est pas nommé
depuis cinq minutes...
LA ROUSSOTTE
Naturellement, moi je vous aï défendu.
.. J’ai dît que je vous aimais.
MÉDARD
Femme adorable ! .. Qu’est-ce qu’il a répondu
?
LA ROUSSOTTE
Il est devenu tout chose... Regarde-moi,
m’a-t-il dit, regarde-moi bien en face, est-ce que ce jeune homme... ce
jeune homme, c’est vous ?
MÉDARD
Oui, oui.
LA ROUSSOTTE
Est-ce que ce jeune homme t’aurait fait
oublier...
MÉDARD
Oh !…
LA ROUSSOTTE
Non, papa, me suis-je écriée,
non, papa !
MÉDARD
Et alors ?
LA ROUSSOTTE
Sa figure est devenue joyeuse, et il m’a
dit que rien n’était plus simple, qu’il n’y avait qu’à vous
envoyer promener...
MÉDARD
Je les reconnais bien là, les classes
dirigeantes de la société, la voilà, leur morale...
Alors si je vous avais fait oublier... il n’y aurait pas moyen de nous
séparer, alors il faudrait bien consentir au mariage... mais
voilà : parce que vous êtes tombée sur un jeune homme
honnête… (avec éclat) Mais il est encore temps...
LA ROUSSOTTE,
effrayée et montrant la guérite.
Remettez ça, je vous en prie, remettez
ça tout de suite.
MÉDARD
C’est inutile.. . Vous avez mieux que ça
pour vous défendre.
LA ROUSSOTTE
Quoi donc ?
MÉDARD
Vous avez mon amour...
LA ROUSSOTTE,
transportée.
Ah ! le moyen, je vous le demande, le moyen
en entendant de pareilles choses... Il peut venir maintenant, papa... Je
sais ce que j’aurai à lui dire...
Entre Dubois-Toupet.
SCÈNE XII
Les mêmes, DUBOIS-TOUPET.
DUBOIS-TOUPET
Me voilà, moi... Ah ! c’est lui
?
LA ROUSSOTTE
Oui, c’est lui... Et je vous déclare,
je tiens à vous déclarer que rien au monde ne pourra m’en
séparer, de lui...
DUBOIS-TOUPET
Ah !
LA ROUSSOTTE
Vous me dites qu’une jeune fille riche
ne doit épouser qu’un homme riche... C’est possible, mais moi, je
ne comprends rien à vos usages. Je ne sais qu’une chose, moi, c’est
que je l’aime et que je l’aimerai toujours... Vous êtes mon père,
je sais bien... mais que voulez-vous que je vous dise ?... s’il me fallait
absolument choisir entre vous et lui... Eh bien... vous n’êtes mon
père que depuis cinq minutes après tout... et lui, voilà
déjà trois grands jours que je l’adore...
MÉDARD
Femme adorable !
LA ROUSSOTTE
Vous avez envie de me marier dans votre
monde, c’est très bien... mais est-ce ma faute si je me suis mise
à aimer dans un monde à moi... On aime ou l’on peut et comme
on peut... Je ne pouvais pas me mettre à aimer un ambassadeur...
il n’en vient guère à la crémerie... et là-bas
à l’auberge de Péronne, il n’en venait pas du tout... Je
vous en prie laissez-moi l’épouser... Il n’est pas mal... regardez-le...
DUBOIS-TOUPET,
à Médard
Ah ça ! mais je ne me trompe pas...
c’est vous qui, tout à l’heure, quand je suis sorti, m’avez offert
un prospectus ?
MÉDARD
Dont vous n’avez pas voulu... Ça
ne m’étonne pas, personne n’en prend.
LA ROUSSOTTE,
à Dubois-Toupet
Vous ne me répondez pas, papa.
DUBOIS-TOUPET
Que veux-tu que je te réponde ?
Il est bien évident que plutôt que de te perdre après
t’avoir retrouvée... (regardant Médard) Mais d’un
autre côté... c’est bien dur vraiment, c’est bien dur.
LA ROUSSOTTE
Papa, je vous en prie...
COUPLETS ET TRIO
1
Sans Médard, je ne pourrais vivre,
Je partirai, si Médard part,
Je veux l’aimer, je veux le suivre,
Je ne peux vivre sans Médard.
C’est bet’ ! j’en conviens moi-même,
D’aimer un homm’ qui n’a pas le sou,
C’est bêt’ ! c’est insensé
! c’est absurd’ ! c’est fou !
Je le reconnais, mais je l’aime,
Je l’aime.
Mon p’tit papa n’y a rien à faire
à ça !
Je l’aime !
2
De vos’ biens, je n’ai point envie.
Si Médard n’en prend point sa part,
Je sais que je vous dois la vie.
Mais je dois l’honneur à Médard.
C’est lui que je veux ! lui quand même,
N’importe comment et n’importe où
!
C’est bêt’ ! c’est insensé,
c’est absurd’, c’est fou !
Je le reconnais, mais je l’aime.
Je l’aime !
Mon p’tit papa y a rien à faire
à ça.
Je l’aime !
DUBOIS-TOUPET
C’est bien décidé alors ?...
Des grands seigneurs, tu n’en veux pas !... C’est l’afficheur que tu veux
!
LA ROUSSOTTE
Oh ! oui, papa ! oh ! oui !
MÉDARD
Si ça pouvait vous décider,
Monsieur, je promettrais d’y renoncer aux affiches !
LA ROUSSOTTE
Voyons, papa !
MÉDARD
suppliant.
Monsieur !
DUBOIS-TOUPET
Eh bien ! qu’est-ce que tu veux que je
le dise ! Va pour l’afficheur, puisque tu y tiens !
SCÈNE XIII
Les mêmes, GIGONNET
GIGONNET
Un instant !
LA ROUSSOTTE,
apercevant Gigonnet.
Gigonnet
MÉDARD
L’infâme Gigonnet !
GIGONNET,
très calme.
Oh ! oui, Gigonnet. (à Médard)
Vous rappelez-vous qu’un jour, lorsque vous étiez chef de mon contentieux...
vous m’avez remis vos papiers en me disant : « Voyez donc si avec ça,
il ne me serait pas possible de retrouver un père ? »
MÉDARD
Oui, je me rappelle.
GIGONNET
Eh bien ! c’est fait, votre père
est retrouvé.
LA ROUSSOTTE,
joyeuse.
Il a un père... lui aussi... il
a un père !...
DUBOIS-TOUPET
J’aime autant ça.
GIGONNET,
remettant à Médard
une liasse de papiers.
Prenez... J’ai reconstitué votre
état - civil, (à part) Avec les papiers du Roussot.
MÉDARD
Et mon père ?
GIGONNET
Votre père ?... Le voici
DUBOIS-TOUPET
Mon fils !
MÉDARD
Mon père !
Médard et la Roussotte
font un pas
l’un vers l’autre, puis ils s’éloignent
avec une sorte d’effroi.
LA ROUSSOTTE
Mon frère ? …
MÉDARD
Ma sœur !
GIGONNET,
à part.
Mariez-vous maintenant, mes enfants ! mariez-vous. |